Comment doit-on envisager l’évolution de l’emploi en France dans les mois à venir, et ce, à la lumière des tendances économiques du moment ? Vaste question, d’autant que les signaux sont, sans être forcément contradictoires, pour le moins peu lisibles ; Christine Lagarde, au Grand Jury RTL-Le Monde (ici sur le Figaro) nous promet ainsi une fin d’année 2008 vraiment difficile, mais une conjoncture ragaillardie fin 2009 : « Le troisième trimestre ne sera pas bon et il est mathématiquement impossible que l'on atteigne 1,7 % sur l'ensemble de l'année. (...) On sera sans doute autour de 1 %. de croissance en 2008. » Et notre ministre de l’Economie de conclure prudemment : « On finira l'année 2009 mieux qu'on ne la commencera.» Une litote troublante, qui n’aura sans doute pas vertu à lever les inquiétudes...
Mais revenons à 2008 : est-ce une année noire ? Dixit un membre du conseil d’analyse économique de Matignon (à lire dans Les Echos) « il y a un consensus pour dire qu'aucun indicateur qui sort en ce moment n'est porteur de bonne nouvelle.» Exemple du jour : les mauvais chiffres de l’emploi aux Etats-Unis font baisser les places boursières européennes, en tout cas, d'après La Vie Financière.
Comment cela peut-il se traduire pour les créations d’emplois en France ? Les prévisions optimistes du gouvernement au début d’année ont laissé place à celles plus réalistes de l’Unedic (petit papier dans Libé) qui tablait sur 140 000 créations nette d’emploi sur l’année 2008. Finalement, on sera même en deça, vers 119 000... contre 322 000 en 2007 !
- Si l’on s’intéresse maintenant à l’emploi des cadres, on constate en revanche que les prévisions sont moins sombres.
Dans sa note trimestrielle, l’Apec (étude à télécharger via Le Petit Journal) fait état d’un taux de chômage proche du « plein emploi » avec 3,8%. La moitié des entreprises de plus de cent salariés auraient l’intention d’embaucher un ou plusieurs cadres. Cela s’explique bien sûr en grande partie par un début de pénurie des compétences.
Toujours d’après l’Apec et son président Gabriel Artero, l’Informatique reste le secteur-phare des embauches (92% des compagnies prévoient de recruter), suivi du secteur de la Banque et Assurance (70%) malgré une conjoncture plus difficile et la moitié des entreprises industrielles. Le secteur du Conseil est quant à lui en baisse (54% des entreprises pensent embaucher des cadres contre 70% en 2007) tandis que le secteur Commerce et Transport se montre tout à fait attentiste (24%) en raison bien sûr, du prix du pétrole et de la baisse du pouvoir d’achat des ménages.
Excepté ce dernier secteur, les prévisions restent - très - globalement encourageantes. Mais ce n’est pas pour autant le signe d’une économie saine et dynamique...
En effet, toujours selon l’enquête de l’Apec, 79% des employeurs expliquent que le motif de leur recrutement tient à des départs à la retraite, 47% indiquent qu’il s’agit de trouver un remplaçant ou une remplaçante à un cadre évoluant en mobilité interne. Quid de la recherche de nouvelles compétences, de la création de poste ex-nihilo ? Le secteur informatique sauve l’honneur, si l’on peut dire, mais on est loin, très loin, d’un marché de l’emploi vivifié par l’export et l’innovation tous azymuts.
- Terminons par un coup de gueule qui nous ramène à la douloureuse question de l’emploi des cadres seniors.
J’observe dans l’étude de l’Apec que les candidats « privilégiés » par les entreprises restent très majoritairement les cadres dotés d’une expérience de « 5 à 10 ans » : 82% des recruteurs interrogés rechercheraient ce profil contre 43% pour les jeunes diplômés, 43% également, pour les profils de 10 à 20 ans « très expérimentés » et 20% pour les profils seniors de plus de 20 ans d'expérience. Rien ne vous choque dans ces lignes ? Moi si.
Je trouve choquant que l’Apec pose cette question aux entreprises alors que la logique (et la loi) voudrait qu’aucune discrimination par l’âge ne soit faite lors du processus de recrutement ! Poser cette question à son panel de 550 entrepreneurs c’est, de la part de l’Apec, renforcer les préjugés des recruteurs à partir d’une segmentation selon la durée de la carrière. Au lieu de cela, l’Apec devrait se faire porteur d’un message inverse du type : « Nous ne vous poserons pas cette question habituelle sur l’âge des candidats car elle est hors de propos si l’on s’en tient strictement à l’évaluation de leurs compétences.»
Laissons aux enquêtes sur la discrimination à l’emploi le soin d’évoquer la segmentation par l’âge, et supprimons-la ailleurs - dans les enquêtes généralistes sur le recrutement notamment - afin de ne pas conforter les recruteurs dans cette approche. Voilà qui est dit !
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