Comment notre société française peut elle continuer à discriminer et écarter de tels talents. Voici l’histoire de Mustapha, une histoire vraie...
Le premier contact avec Mustapha (nous avons décidé ensemble de préserver son anonymat), on peut dire que cela a été une vraie rencontre, avec beaucoup d’émotion… Nous sommes un vendredi soir à 19h, un premier RDV reporté, et cette rencontre qui s’annonce tendue... Ne m’avait-il pas envoyé un mail critique, voire un peu agressif, comme il l’avait fait à plusieurs cabinets de recrutement, me reprochant mon engagement en faveur de la lutte contre les discriminations, m’accusant au fond de ne pas beaucoup agir ? J’avoue avoir été un peu surpris par la démarche, mais j’ai souhaité le rencontrer. Cela me paraissait normal… D’autant que sur les 1200 entreprises à qui il avait envoyé sa candidature, peu de recruteurs et d’entreprises avaient daigné le recevoir. Quelle erreur : ils auraient détecté un talent !
J’ai découvert un homme intelligent, pertinent, mais plus encore, j’ai été scandalisé par son histoire. Comment ce candidat pouvait il ne pas trouver sa place dans notre société française ? Comment sa candidature avait elle pu être écartée par autant d’entreprises ? A mesure que je l’écoutais, que les faits s’accumulaient, force était de constater qu’il avait été massivement, profondément victime de discrimination. Son propos n’était pas seulement crédible, il en émanait une vérité profonde, sans fard, sans exagération.
Quel gâchis pour notre pays ! Heureusement Mustapha a décidé de créer aujourd'hui son entreprise (il en a le potentiel) avec un projet qui a beaucoup de sens pour lui.
J’ai décidé récemment de l’interviewer et de vous faire partager sa richesse dans Nouvelle Donne RH. Probablement, s’il n’avait pas opté pour ce projet d'entreprise, j’aurais mis mon énergie à l’aider à trouver un job… Maintenant son projet affiné, souhaitons lui bonne chance et que son histoire nous soit tous utile !
J’ai choisis de ne pas citer l’entreprise qu’il met en cause pour des raisons malheureusement juridique et parce que je veux croire que celle-ci à depuis, amélioré ses pratiques.
AG : Avez vous ressenti de la discrimination au cours de votre carrière?
Mustapha : Assurément oui. Dès les premiers emplois que j'ai occupés durant mes études dans les années 90, jusqu'à ma carrière dans le secteur bancaire, j’ai été victime de discrimination raciale. Quelques exemples : Un jour le responsable d’une société de sécurité me dit : "Vous n'êtes pas typé maghrébin avec vos yeux verts. C’est parfait pour nos clients prestigieux. Officiellement vous vous appellerez Christophe". Plus tard, dans une société de travail temporaire : «Nous n'avons pas de mission à vous proposer, rappelez nous dans 1 mois". Or, un ami d'enfance "bien Français", décrochait une mission, 5 minutes après avoir appelé la même agence en ma présence. Réponse de l'agence à qui je faisais part de mon étonnement : "Nous avons décroché cette mission dès que vous avez raccroché..." Cet autre exemple, dans la banque dans laquelle j’ai travaillé : le même ami d'enfance, qui a rejoint l'entreprise 2 ans après moi, a vu son salaire atteindre 3500 € net (hors avantages), tandis que le mien a stagné à 2500 € (avantages familiaux compris). Bien que j'ai exercé des responsabilités largement supérieures à cet ami (encadrement d'équipes et de projet) la réponse du DRH à mes réclamations fut "c'est ainsi, on ne refait pas l'histoire..." Ou encore, ces propos tenus par des cadres dirigeants à qui j'ai demandé que mes qualités soient reconnues et rémunérées lorsque j'ai décroché le MBA de l'IAE de Paris: "Tentez votre chance ailleurs, et changez éventuellement d'identité, ça boostera votre carrière..."
AG : Comment avec avez vous vécu votre recherche d'emploi au cours de ces 2 dernières années
Mustapha : L'enthousiasme a laissé place au découragement, puis à la colère, et enfin au courage et la détermination. J'ai postulé à plus de 1200 offres (toutes méthodes et tous cabinets de recrutement) en adéquation avec mon profil, ou très en deçà de mes compétences. Je n'ai décroché que 2 entretiens avec des cabinets de recrutement "minuscules". Aucun avec l'employeur potentiel. 1000 e-mails et lettres de refus. Plus de 200 "non réponse". Une dizaine de "pseudo-entretiens" téléphoniques formels restés sans suite.
AG : Vous avez été amené à modifier votre CV pour décrocher des entretiens. Pouvez vous expliquer votre démarche?
Mustapha : J'ai modifié mon parcours (augmenté ou diminué mon niveau de compétences), créé un personnage « français de pure souche » (Jean Philippe D.) avec un parcours identique (mêmes formations, mêmes écoles, mêmes expériences et entreprise et/ou écoles différentes). En postulant auprès des mêmes cabinets et/ou entreprises (une centaine), Jean Philippe D. a décroché plus de 40 propositions d'entretiens, et quasi 100 % d'entretiens téléphoniques. Du testing grandeur nature...
AG : Vous avez le projet de créer une entreprise, pourquoi ?
Mustapha : Mon père qui est décédé il y a plus de 20 ans, me disait "un jour tu reviendras sur les terres que je te léguerais (plusieurs hectares d'oliveraies en Kabylie). Car si la France qui m'a accueilli en ouvrier t'a donné la chance de bénéficier de la nationalité française et des droits qui en découlent, je crains que ce ne soit que pure formalité administrative, car la liberté n'a pas de prix... Travaille dur, n'ai pas de haine car tu n'a pas vécu la guerre, et mes anciens ennemis seront tes amis. J'ai pardonné, et tu devras respecter ma mémoire. Le jour arrivera où ton salut viendra de ton retour aux sources, car les obstacles que te mettront sur ta route certains irréductibles en France t'empêcheront d’y vivre librement... » Ces propos, mon défunt père les a tenus il y a plus de 30 ans. En créant mon entreprise d'import-export d'huile d'olive je ne fais que respecter sa mémoire et reprendre ma liberté.
AG : Si vous deviez adresser un message aux cabinets de recrutement et aux recruteurs en entreprises, quel serait il ?
Mustapha : Tout simplement cecic : la devise de la République "Liberté égalité fraternité" n'a de sens que si vous l'appliquez au quotidien. En évacuant d'emblée toute candidature provenant de Français d'origine arabe, kabyle, africaine, d'handicapés, de femmes, de "seniors" etc, vous êtes en très grande partie responsables de la grave crise économique et sociale que traverse l'Europe, et la France en particulier. Sachez que la victime de discrimination, en surmontant les obstacles que vous mettez sur sa route, démontre sa force. En lui refusant toute possibilité de travailler, vous privez les entreprises d'un vivier inestimable de compétences. Vous prônez (sans le savoir) la pensée unique, le formatage "administratif" des entreprises françaises, la "fonctionnarisation" de la société. Je vous exhorte à ouvrir les yeux : ces pays que vous "traitiez" de tiers monde prennent leur revanche. Leur croissance économique est telle, qu'en s'associant à des pays comme la Chine, elle crée des richesses, au point qu'un pays beau et grand comme la France, s'en trouve réduit à quémander des ressources pour sauver son système. L'Algérie a en effet non seulement remboursé l'intégralité de ses dettes, mais prêté récemment quelques deniers aux pays dits "industrialisés". Pourquoi? Car là bas, comme dans beaucoup de pays, on juge un candidat à sa force et non sa couleur de peau...
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