Benjamin Blavier est un passionné. Cet ancien DRH (Bouygues, Apple), concepteur de la stratégie RSE de SFR, aujourd’hui Directeur Diversité & Emploi d'IMS Entreprendre pour la Cité, a créé l’association « Passeport Avenir » dont il est le Délégué Général. Je vous invite à mieux connaître son action.
Benjamin, pouvez-nous nous expliquer l'ambition de « Passeport Avenir » ?
« Passeport Avenir » est une association fondée en 2006, qui réunit partenaires publics et entreprises dans un projet portant sur l'égalité des chances dans les filières dites d' « excellence ». L'association réunit 17 entreprises et 99 établissements d'enseignements, avec un réseau de 850 bénévoles, soit enseignants, soit salariés.
C'est une démarche sociétale...
Oui, tout à fait. L'association est partie d'un constat, désormais banalement partagé : le système des grandes écoles créée de la reproduction sociale, excluant ceux qui ne sont pas issus d'un moule de conformité. Dans les milieux populaires, il est de plus en plus difficile, en raison de cette discrimination, et de l'autocensure, de prendre « l'ascenseur social ». Les enseignants, qui pouvaient autrefois encourager leurs meilleurs élèves à se lancer dans l'aventure de la méritocratie républicaine, ne sont plus en capacité de les convaincre. Les grandes écoles, et les entreprises, sont pour eux des univers lointains et inaccessibles. Dans ce contexte, toute aide est bienvenue. Et les entreprises ont un rôle déterminant à jouer, très complémentaire du travail des enseignants, pour relancer la mobilité sociale.
"Accompagner les jeunes de milieux populaires"
Comment vous y prenez-vous au sein de l’association ?
Concrètement, nous accompagnons des jeunes issus de milieux populaires, engagés dans des études dans des classes préparatoires technologiques puis dans des grandes écoles de commerce et d'ingénieur. L'accompagnement ne consiste pas à accorder des bourses au mérite. C'est utile, mais insuffisant. Nous travaillons plutôt sur trois déficits qui caractérisent les jeunes que nous suivons :
- déficit d'information sur le monde de l'entreprise, son organisation, ses codes et ses rites ;
- déficit d'accès, il est évidemment plus difficile, quand on est issu d'un quartier, ou que notre nom laisse supposer une origine ethnique non majoritaire, de connaître et de rencontrer des cadres de grandes entreprises, puis de trouver des stages et un job ;
- déficit de confiance, peut-être le pire obstacle, c'est là que l'accompagnement au fil des études par des tuteurs d'entreprise, qui ne sont ni des profs, ni des amis, ni des parents, prend tout son sens.
L’ambition est élevée, c’est un travail de longue haleine…
Si nous parvenons, avec ce travail de dentelle fait en commun avec les équipes enseignantes, à contourner les discriminations et à multiplier les exemples de réussite de jeunes issus de milieux populaires, c'est une vraie bouffée d'espoir.
Un premier bilan de l’action de « Passeport Avenir » ?
L'association a incontestablement trouvé sa place, il y a un enthousiasme partagé sur le terrain entre enseignants, tuteurs et jeunes, au delà des prétendues barrières idéologiques, et nous avons démontré la réelle utilité de ce concept d'« accompagnement d'entreprise » que nous avons inventé.
" 100% de nos étudiants diplômés ont trouvé un emploi "
Et sur un plan plus quantitatif ?
Pour l'année scolaire 2010/2011, nous intervenons devant plus de 3000 élèves, de la classe de première jusqu'au bac + 5. Parmi eux, 711 élèves, dont 74% de boursiers, et une part très importante de jeunes des minorités visibles, bénéficient d'un tutorat individuel. C'est aussi plus de 6000 heures de formation au tutorat, et 215 ateliers de travail dans les lycées ou grandes écoles. Enfin deux derniers chiffres dont nous sommes très fiers : sur 366 étudiants tutorés passant les concours en 2010, 92% ont intégré une grande école ; après 6 mois de recherche au maximum, 100% de nos étudiants diplômés en 2009 ont trouvé un emploi.
La formation, l’accompagnement c’est très bien, mais quel est le résultat de ces efforts ?
Les classes préparatoires technologiques, jusqu'ici peu connues, font maintenant face à un afflux de candidatures. Il ne s'agit bien sûr pas de notre seule action, mais nos partenaires publics nous en attribuent une bonne part. Ensuite, qualitativement, les élèves que nous suivons osent maintenant s'inscrire à des concours plus prestigieux, ils parviennent à intégrer des écoles de tout premier rang, d'ingénieurs ou de commerce. A plus long terme, le vrai résultat sera atteint dans quelques années, quand nous aurons des jeunes qui ont bénéficié de notre accompagnement dans des postes clés des entreprises ou des administrations, capables de représenter toute la diversité de notre pays, et soucieux de se réinvestir auprès d'autres jeunes.
Vos projets en deux mots ?
Nous avons construit notre initiative sur les classes préparatoires technologiques, à partir du bac, et nous allons, à partir de cette année, nous adresser aux premières et aux terminales dans les lycées sensibles de 5 académies, avant sans doute de généraliser la démarche. Il faudrait bien sûr s'adresser aux jeunes encore plus tôt, dès la troisième, mais nous allons faire cela avec d'autres partenaires. Il nous faut aussi réussir en aval : nous voulons nous assurer que les diplômés du Passeport Avenir, dans une période qui reste difficile, auront bien accès à l'emploi, et nous les aidons concrètement à y parvenir. Nous voulons par ailleurs nous attaquer à d'autres freins, très discriminants ; je pense aux questions de logement, de transport, de renforcement de la culture générale, voire de santé. Sur ces chantiers, les entreprises sont démunies, mais par contre nous pouvons travailler avec d'autres partenaires qui connaissent ces sujets et pourront compléter notre démarche.
Passeport d’avenir veut également apporter une réflexion…
Oui, absolument. Il faut aller au delà de ce modèle de réussite que prône le système et que nous prônons à travers l’association. Ce système homogénéise les élites, et nous devons être force de proposition pour aller beaucoup plus loin : le modèle des grandes écoles a des vertus, il ne faut pas le dégrader, mais tout de même, je n'arrive pas à être convaincu que l'intelligence se résume aux seules connaissances académiques des meilleurs élèves de notre système éducatif. Les grandes écoles doivent remettre en question leur modèle de sélection et s'ouvrir davantage. Il est temps aussi, de s'adresser aux universités qui sont capables de détecter et d'encourager l'excellence. Nous devons par ailleurs inciter les entreprises à sortir du modèle stéréotypé de réussite qui consiste, par facilité, à recruter des profils de grandes écoles. Il faut les encourager à réfléchir vraiment à ce que signifie la notion de potentiel dont elles ont besoin.
L’association Passeport Avenir a devant elle un chantier important !
Nous voulons pleinement jouer notre rôle tremplin. Finalement, nous vivons des temps formidables. Je suis peut être très optimiste, mais j'ai l'impression qu'en ce moment, sans doute à cause d'une certaine forme d'urgence sociale, nous pouvons faire une révolution en ce qui concerne les relations entre l'entreprise et l'école.
A découvrir, le site de Passeport Avenir.
A noter également, ce billet traitant du rôle des RH dans les politiques RSE, sur le site RSE Pro.
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