Gérard Lelarge, consultant en management, vient de publier « 18 leçons pour conjuguer éthique et performance » dont j’ai déjà parlé sur NDRH la semaine passée. Son ouvrage s’articule autour de la pensée de l’immense Confucius (Vè siècle avant JC). J’ai souhaité l’interviewer :
Qu’est-ce-qui vous a amené à vous intéresser à Confucius ?
D’abord un intérêt pour la culture et la pensée chinoises. Ensuite parce que Confucius, au même titre par exemple que Machiavel, Aristote, Platon ou Sun Tzu, fait partie de ces penseurs dont certaines réflexions peuvent être utilement transposées à notre époque, notamment dans le monde de l’entreprise. On peut ainsi noter que Confucius a résolu, avec près de 2 500 ans d’avance, certains de nos problèmes managériaux !
Quels sont les principaux enseignements que vous retenez ?
Le sens de l’humain est la valeur centrale du confucianisme. Elle englobe notamment le respect, la confiance, la sollicitude, la vertu, la recherche de la perfection. A titre d’illustration, citons quelques conseils : « Pensez droit et soyez bienveillant », « Montrez l’exemple », « Apprenez sans cesse », « Cherchez à progresser et exigez beaucoup de vous-même », mais aussi par exemple « Exigez beaucoup des autres » et « Osez être sévère ». La démarche de Confucius me semble doublement intéressante. D’abord dans la mesure où réconcilier éthique et performance est d’évidence d’actualité dans un contexte où l'éthique est parfois bafouée dans l’entreprise et où les impératifs de performance sont toujours plus élevés. La démarche de Confucius est également intéressante en ce sens que le respect de l’éthique peut être source de résultats accrus. Conduisez-vous correctement, ayez des exigences morales élevées et vous gouvernerez avec plus d’efficacité, expliquait le « Maître ». On le voit, ses conseils destinés aux gouvernants n’étaient pas totalement désintéressés. Loin de là. Mais réussir à « bien faire en faisant le bien », pourrait-on dire, est tout à fait respectable, hier comme aujourd’hui.
En ce qui concerne l’éthique, considérez vous que nos entreprises françaises progressent et en quoi ? Qu’en est-il par rapport à d’autres pays ? Et par rapport à la Chine ?
Incontestablement nos entreprises progressent en matière de comportement éthique et au-delà, d’exercice de la responsabilité sociale et sociétale. Certes, les législations deviennent plus nombreuses et constituent autant de contraintes nouvelles ou de garde-fous à des dérives qui ont trop souvent fait la Une de l’actualité. Citons ainsi par exemple les récentes réformes sur les retraites-chapeau et les « parachutes dorés ». Citons également les dispositions légales en matière de prévention du harcèlement, de lutte contre les discriminations, de gestion de la diversité, de RSE, etc. Mais il est clair que nombre d’entreprises vont au-delà de ce qui est exigé par les textes et prennent des initiatives tout à fait appréciables. Rappelons par exemple les actions menées pour faciliter l’insertion professionnelle de jeunes issus de « quartiers sensibles » ou pour aider le retour à l’emploi de chômeurs de longue durée.
Les entreprises investissent en effet de plus en plus en ces champs…
Bien sûr, ces initiatives sont perçues de façon positive par l’ensemble des acteurs et donc améliorent l’image de l’entreprise : ne soyons pas naïfs. Mais ne soyons pas non plus cyniques en imaginant que toute action qui semble désintéressée (être une « entreprise citoyenne », « agir dans le sens de l’humain », etc.) ne vise en fait, à moyen terme, qu’à vendre plus et à améliorer la rentabilité.
Et en Chine ?
Les entreprises chinoises ont, pour reprendre une expression RH bien connue, « une grande marge de progression » pour respecter au quotidien les préceptes de l’un de leurs plus grands penseurs. Mais comment pourrait-il aujourd’hui en être autrement compte tenu du chemin déjà parcouru par la Chine en un temps record et du chemin qui reste à parcourir ? Pour revenir aux entreprises françaises, celles-ci sont en matière de comportement éthique et de RSE probablement en retard dans certains domaines par rapport à nombre d’entreprises nord-européennes, canadiennes, voire américaines.
Sans aucun doute, et dans plusieurs domaines…
Pensons ainsi aux politiques de gestion des âges, d’insertion des personnes handicapées, de dénonciation d’actions condamnables (bien que la pratique du whistleblowing puisse être source de dérives). A mon sens trois types d’action pourraient être menés en France : 1/ faire ce qu’on annonce : rien n’est plus humainement condamnable et économiquement contreproductif que faire apparaître un décalage entre le discours et les actes ; 2/ être vigilant quant aux conséquences insoupçonnées de certaines pratiques RH et managériales (exemple de la discrimination indirecte, telle que définie par la loi du 27 mai 2008) ; 3/ viser à être aussi performant dans les domaines de l’éthique et de la responsabilité sociétale que dans les domaines technique, commercial et financier. Met-on toujours en œuvre les moyens d’atteindre les objectifs qu’on s’est fixés ? Un seul exemple : en matière de recrutement de personnes handicapées, se contente-t-on de se lamenter en notant que les candidats en situation de handicap ne sont pas formés aux métiers pour lesquels on recrute, ou essaie-t-on de les former à ces métiers ? Ces actions sont certainement ambitieuses. Donc enthousiasmantes ; comme l’énonçait « Maître Kong »* : « L’honnête homme ne donne pas sa mesure dans les petites choses ».
Le livre de Gérard Lelarge sur Fnac.com.
* « Maître Kong » est issu du nom chinois de Confucius : Kǒngfūzǐ