Les faits tout d’abord : dans un arrêt du 15 décembre 2011, la Cour de cassation a confirmé le jugement de la Cour d’appel de Toulouse du 19 février 2010, laquelle avait condamné AIRBUS à verser 18 000 € d’indemnités pour discrimination à l’embauche en raison de l’origine.
Le plaignant était un intérimaire d’origine algérienne employé en CDD (un an) en 2001 dans l’usine de Saint-Eloi* à Toulouse pour un poste d’affûteur.
Au cours de l’exécution de sa seconde mission en 2005 (un an et demi) , AIRBUS annonce l’embauche d’un affûteur intérimaire en CDI. De façon très surprenante, la candidature du réclamant n’est pas retenue, tandis qu’un candidat « diplômé » est embauché.
Premier point de réaction : l’annonce ne mentionnait nullement l’exigence d’un diplôme. Celui-ci n’est apparu qu’a posteriori en tant « critère de sélection » - et après candidature de l’intérimaire d’origine algérienne. Deuxième point : le poste ne requiert pas particulièrement de diplôme. La Halde est saisie…
L’enquête mettra en lumière plusieurs éléments intéressants, conduisant in fine à la condamnation d’AIRBUS :
- Après analyse des registres du personnel, il apparaît qu’aucune personne, ou presque, portant un nom à consonance maghrébine n’y figure, laissant penser que nous sommes en présence d’une discrimination systémique ; c'est-à-dire que le processus d’entreprise non discriminatoire en apparence est défavorable à certaines populations.
- Concernant la soudaine prise en compte d’un diplôme pour l’obtention du poste, la Halde concluera qu’il s’agit d’une exigence posée a posteriori du recrutement pour tenter de justifier le choix opéré ; celui d’un candidat d’origine non maghrébine.
- Par ailleurs, AIRBUS a été dans l’incapacité de justifier le refus d’embaucher le candidat plaignant.
Pour ma part, je tenais à réagir :
- Concernant les registres du personnel, je pose la question : à partir de quel seuil doit-on considérer qu’une entreprise est diversifiée ? Cela pose la question plus générale de la mesure de la diversité dans un pays qui est insuffisamment avancé en la matière. Autre point : un nom peut cacher une personne issue d’un groupe discriminée, on peut par exemple s’appeler Arthur – prénom bien « français » et être noir. Autrement dit, la méthode qui consiste à relever les consonance des noms sur un registre fait débat. Cette méthode peut être discutable, mais constitue une première avancée dans le débat.
- La Halde a dénoncé, à raison, la mention a posteriori d’un diplôme. Cette position incitera sans doute à l’avenir les entreprises à renforcer l'engagement de l'offre d'emploi au démarrage même de la mission ; ce qui est en soit positif dans la mesure ou elle oblige à faire preuve de plus de transparence sur les critères de sélection. Il ne faudrait pas néanmoins que les entreprises renforcent les critères de diplôme a priori, par crainte de ne pouvoir invoquer ses critères en cas de plainte pour discrimination. Je rappelle en outre que nos démarches de promotion de la diversité (je vous renvoie à notre association « A compétence Egale ») recommandent d’ouvrir largement les critères de sélection et de ne pas se limiter à un diplôme. Il faut donc redouter, par cet arrêt de la cour de cassation, une restriction supplémentaire autour des diplômes de la part des entreprises, par crainte d’être liées dans leur choix de recrutement par leur annonce. Rappelons que l’ouverture des critères relatifs aux diplômes est justement favorable à la promotion de la diversité, notamment sociale.
- Enfin, la question du passage d’un poste d'intérim à un poste CDI est une question sensible. Sur le terrain, nous constatons que si l'entreprise concède à diversifier ses équipes pour du personnel en emploi précaire, pour des raisons d’urgence ou de pénurie de compétence, il n'en est pas de même lorsqu'il s'agit d'embaucher des collaborateurs en CDI.
On le voit, le sujet est complexe. Il n’est pas moins aigu. Rappelons-le : 50% des cas de discriminations traitées par la Halde en 2010 (aujourd’hui Défenseur des droits) concernent le domaine de l’emploi. Au final, je m’étonne que cet arrêt « Airbus » soit aussi peu commenté dans la presse ou sur le web, sinon par de simples copiés-collés de communiqués de presse du Défenseur des Droits.
Le texte de l'arrêt sur Légifrance.
le site d'A Compétence Egale.
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