Le Conseil d'Etat vient de sommer, ce mercredi 9 juillet 2014, le gouvernement de prendre le décret d'application de la loi de 2006, qui rend obligatoire les CV anonymes dans les entreprises de plus de 50 salariés pour lutter contre les discriminations à l'embauche.
Faut-il s’en réjouir ?
Le CV anonyme est un outil utile contre les discriminations…mais pas suffisant. Il n’est pas l’outil providentiel. Il doit être associé à un plan d’actions qui inclura notamment un engagement fort de la direction, une formation et une sensibilisation de tous les acteurs de l’entreprise (opérationnels et RH), accompagnés d‘audits réguliers sur les procédures de recrutement.
Certes, il fait reconnaître que le CV anonyme a fait évoluer les mentalités et a recentré les critères de sélection sur les compétences.
Le tri des CV est facilité lorsqu’ils sont rendus anonymes dans la mesure où l’absence du nom, du prénom, de l’âge, du genre, de l’adresse, de la situation de famille permet aux recruteurs, sans être exposés à aucun biais même involontaire, de concentrer leur analyse sur des critères professionnels. En ce sens, le recours au CV anonyme s’avère très positif.
Mais le CV anonyme est avant tout un outil de lutte contre les discriminations et non un outil de promotion de la diversité. Cela signifie que lorsqu’une entreprise souhaite mettre en place des actions plus volontaristes et aller au-devant de la diversité (que celle-ci soit une diversité de genres, de quartiers, de handicaps ou d’âge…), le CV anonyme peut être un frein. Ces « actions positives » qui, par nature, apportent un traitement différencié en faveur de certains candidats disposant de potentiel mais pas du même parcours que d’autres candidats non discriminés, paraissent en effet difficilement compatibles avec le filtre « égalisateur » du CV anonyme. Or, il paraît aujourd’hui important - pour rétablir l’égalité - de développer plus encore ces actions positives.
L’étude réalisée par le Crest, en 2011, portait sur un nombre limité de recrutements, de surcroît effectués par des entreprises volontaires et dans un contexte de récession économique et d’aggravation du chômage. Elle donnait par conséquent une photographie qui reste insuffisante des discriminations en France. Il est donc urgent de réaliser une étude d’envergure sur les pratiques discriminatoires dans notre pays afin de mieux les contrer : qui sont les victimes ? Quels sont les postes les plus touchés ? Quel est l’impact des actions menées ? A partir de ces résultats, il conviendra de mettre en place un plan d’action ambitieux.
En conclusion, si le CV anonyme paraissait adapté dans le contexte de 2006, après les émeutes dans les banlieues de 2005, alors que les entreprises « découvraient » le sujet, en 2014, la démarche semble restrictive.
En effet, une mobilisation importante de la part des entreprises, notamment celles titulaires du label diversité (300) ou signataires de la charte de la diversité (3000) a permis de sensibiliser les acteurs du recrutement, de réviser les procédures et surtout de mettre en place des actions positives et volontaristes pour renforcer la diversité de ses équipes. Une grande enquête s’impose afin d’analyser les résultats accomplis par les entreprises.
Pour en savoir plus :
Alain Gavand, « Le recrutement, enjeux, outils, meilleures pratiques et nouveaux standards », Editions d’Organisation, 2013.