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« Il est nécessaire de « penser » les nouvelles modalités des politiques diversité que la crise sanitaire a révélées : plus d’intersectionnalité, prise en compte des vulnérabilités, individualisation des mesures ».
« La pandémie joue donc tout à la fois un rôle de révélateur et d’accélérateur de l’exigence d’inclusion ».
Avant la pandémie, la diversité et l’inclusion étaient perçues comme un enjeu central pour les entreprises. Dans une série d’une quinzaine d’articles, j’ai souhaité débattre avec des DRH et des Responsables Diversité ou des acteurs engagés sur cette thématique, afin de connaître l’impact de la crise sur les politiques Diversité dans les entreprises et les premières leçons de la première vague.
A l'heure du deuxième confinement, écoutons Anne-Laure Thomas-Briand et Johan Titren, coprésident·e·s de l’AFMD (Association Française des Managers de la Diversité). Qui peut le mieux que ces acteurs engagés répondre à mon questionnement ? L’association d’intérêt général, fondée en 2007 réunit plus de 140 organisations privées et publiques. À la fois réseau, espace d’échanges et laboratoire d’idées, ses objectifs sont de guider les organisations au quotidien, d’anticiper les évolutions de la société, mais également de participer au débat public.
Du point de vue de Johan Titren, également Directeur Egalité des Chances chez The Adecco Group France, il est difficile d’avoir une réponse unique, quant à l’impact de la pandémie sur les politiques Diversité et Inclusion. Pendant le confinement, certaines entreprises ont vu l’ensemble de leur activité ralentir ; ce qui a parfois impacté leurs actions Diversités et Inclusion. Cependant, « le risque réel ne serait-il pas d’ignorer les conséquences sociales révélées par la pandémie ? ». Ce sont par exemple, les violences envers les femmes qui ont augmenté considérablement, de même que les insultes homophobes, ou encore l’isolement accru de certaines personnes en situation de handicap.
La pandémie, un révélateur et un accélérateur de l’exigence d’inclusion
La pandémie risque-t-elle de remettre en question les politiques diversité et inclusion des entreprise ? Pour Anne-Laure Thomas-Briand, par ailleurs Directrice Diversités & Inclusion France au sein de L’Oréal, « la crise sanitaire n’a connu aucun précédent et a engendré un véritable cataclysme dans les organisations : confinement, 100% de télétravail, chômage partiel pour certains, pouvant provoquer chez les salariés une baisse de la motivation et de leur engagement ». Il n’est pas étonnant que la crise sanitaire et économique engendrée par la propagation du Covid-19 ait fortement impacté les thématiques portées par l’association et par ses membres. Ces impacts se traduisent par l’accélération de changements tels que la mise en œuvre du travail à distance, composante forte des politiques de conciliation des temps de vie, la prise en compte des risques psychosociaux dans une politique « Santé » préventive ou encore la montée en puissance des politiques de Qualité de vie au travail.
Des actions qui pouvaient peiner à trouver leur place dans les organisations ont été placées au centre des discussions du fait du confinement et de l’imbrication du lieu de vie et du lieu de travail. Cette crise sanitaire a posé un réel questionnement sur ces espaces de vie et ces espaces de travail, avec par exemple de nouvelles aspirations à être « nomades » tout en travaillant. Les personnes souhaitent partir sur de plus longues périodes et plus loin. Il y a par ailleurs un vrai besoin d’accompagner le télétravail et de mettre en place le droit à la déconnexion.
Enfin, il semble que, dans ce nouveau monde où la distanciation sociale devient la norme, la notion d'inclusion prend tout son sens. « Il s'agit pour l'employeur de créer de nouveaux moyens pour rassembler et coopérer, ainsi que de nouvelles formes de sensibilisation et de mobilisation », insistent les deux coprésidents.
Pour Johan Titren, « la pandémie joue donc tout à la fois un rôle de révélateur et d’accélérateur de l’exigence d’inclusion ». Pourtant, il ne faut pas ignorer les difficultés économiques qui peuvent peser sur l’activité des entreprises et de leur politique diversité. Il faut donc aussi penser les mesures publiques de soutien à l’activité économique et le plan de relance à l’aune de l’inclusion.
Répondre aux besoins des plus fragiles, enjeu des politiques Diversité et Inclusion
Au cours de cette crise, l’AFMD a eu à cœur d’accompagner l’ensemble de ses entreprises adhérentes et sur le terrain, il a été constaté que leur priorité était de mettre en place des solutions pour répondre aux besoins de leurs collaborateurs les plus fragiles.
En effet, de nombreuses entreprises ont mis en place des actions dans l’objectif de protéger les populations particulièrement exposées aux conséquences de la crise et les exemples ne manquent pas. Certains membres de l’AFMD ont effectué des dons d’ordinateurs aux jeunes des quartiers prioritaires de la ville subissant une fracture numérique pendant le confinement et le déconfinement. D’autres ont renforcé en interne la communication contre les violences faites aux femmes, afin de s’assurer que toutes connaissent les numéros et procédures d’urgence. Certaines entreprises ont également proposé une aide aux personnes isolées par le biais de e-accompagnement, ont organisé du e-tutorat ou ont mis en place une transformation de stages en présentiel en e-stages.
La pandémie : un plus lourd tribut pour les femmes
Pour les deux co-présidents de l’association, il est évident que le quotidien des femmes pendant cette période de confinement a été plus difficile que celui des hommes, en raison des emplois qu’elles occupent, plus exposés à la pandémie, des effets du télétravail lorsqu’il était possible ou encore des conséquences générées par le confinement comme les violences conjugales.
Leur charge mentale a également été particulièrement impactée, que les femmes vivent en couple ou seules avec leurs enfants. Celles qui ont travaillé à distance pendant le confinement, avaient moins la possibilité que les hommes de s’isoler pour travailler au calme et se concentrer. De même, la proximité avec la famille a également augmenté le temps passé à s’occuper des enfants. Cela a bien évidement un impact sur le quotidien professionnel, souligne Anne-Laure Thomas-Briand.
Une plus grande individualisation du management
Les équipes de l’AFMD ont également observé une mobilisation jusqu’alors inégalée des entreprises adhérentes sur la prévention et l’accompagnement des personnes. De même, l’expérience du confinement et la gestion de la crise sanitaire ont contribué à banaliser la gestion des situations individuelles, qu’elles soient familiales, parentales ou de santé. La conscience et la pratique managériale de la gestion des singularités ont, dans un contexte certes difficile et contraint, beaucoup progressé. Certains aménagements ou situations qui semblaient impossibles jusqu’alors se sont imposés avec la crise, sans porter atteinte à l’efficacité et à la performance de l’organisation. Cette « démonstration », de l’avis unanime des deux coprésidents, peut être un atout à l’avenir et contribue à faire reculer les représentations et les inégalités de genre que la crise a particulièrement soulignées.
Réinterroger le sens du travail
Autre conséquence de la crise sanitaire, Anne-Laure Thomas-Briand et Johan Titren, se posent la question de l’impact sur les collectifs de travail et le sens au travail. « Cette crise du sens est un enjeu majeur pour les fonctions RH et à travers elles, les fonctions Diversités et Inclusion sont centrales. Ne perdons pas de vue que des enquêtes ont montré que les engagements Diversité et Inclusion ont été le deuxième facteur de motivation des collaborateurs durant la crise », soulignent-ils.
Repenser les modalités des politiques diversité
La conséquence de la crise sanitaire s’exprime bien évidement, aussi dans la vie de l’association, car le contexte inédit a conduit l’AFMD à s’adapter et remplacer tous les évènements présentiels en évènements virtuels et ainsi continuer à répondre aux besoins des membres.
Le partage d’informations et de bonnes pratiques fut très recherché et apprécié par les membres.
Ainsi, L’AFMD a proposé de nombreux rendez-vous digitaux à ses adhérents pendant le confinement sur les thématiques telles que « Les RH face à la crise sanitaire », « Le nouveau monde adapté », « Comment utiliser le levier de l’inclusion pour renforcer l’engagement de l’organisation ? ». L’association a également encouragé le partage de bonnes pratiques. Cette mutation risque bien de ne pas être éphémère…Les équipes de l’AFMD ont la conviction qu’il est de leur responsabilité d’accompagner les organisations à appréhender cette « nouvelle normalité » et ses enjeux en matière de Diversité et d’Inclusion.
Les entreprises ont-elles-mêmes fait preuve d’agilité et d’adaptation, par exemple, pour poursuivre leurs actions prévues aux côtés des jeunes issus des quartiers prioritaires, en transformant les job dating en présentiel en job dating virtuel, ou en organisant des tables rondes sur des métiers, afin de pallier l’absence de stages pour certains jeunes.
A l’issue de la crise, il ressort que les actions digitales ont très bien fonctionné, et qu’elles seront certainement pérennisées.
Pour Anne-Laure Thomas-Briand, « au-delà, des actions de « réactions » et « d’adaptation » aux conséquences de la pandémie, il sera nécessaire de « penser » les nouvelles modalités des politiques diversité que la crise sanitaire a révélées : plus d’intersectionnalité, prise en compte des vulnérabilités, individualisation des mesures… ».
Gérer l’après-pandémie
Pour les deux coprésidents, il convient, certes de gérer la crise actuelle, mais il importe également dès à présent de se projeter dans la période post-pandémie. Selon eux, une attention particulière devra être portée à la santé psychologique des salariés et aux publics fragiles à la suite de cette période de confinement, notamment en ce qui concerne les violences intrafamiliales ou la situation des aidants. Pour assurer leur retour dans la vie « normale », les mesures prises pendant le confinement pour leur venir en aide doivent être maintenues autant que possible ».
Quelques jours après le début du deuxième confinement, il est encore trop tôt pour identifier les effets de la deuxième vague et si d'autres changements émergeront...