En 2023, la situation sera tout autant à l’avantage des candidats avec 4,5 millions de recrutements, selon l'observatoire Adecco Analytics, sur un marché résolument de pénurie de compétences et de guerre des talents…Ces difficultés de recrutement et d’attraction des candidats sont d’autant plus inquiétantes que celles relatives à la rétention et à l’engagement des salariés deviennent également un défi majeur pour les entreprises, avec trois quarts des salariés en France qui changeraient d’emploi immédiatement s’ils le pouvaient (1). Dans l’enquête Robert Half (2), près d’une personne sondée sur deux est en recherche active d’emploi ou à l’écoute de nouvelles opportunités. Alors les directions prennent-elles la mesure des enjeux et se mobilisent-elles suffisamment ? Voici un panorama en France de ce que l’on peut appeler une véritable crise…
La principale difficulté de recrutement : la pénurie de compétences
Le principal motif de difficultés évoqué par les entreprises, selon l’enquête BMO de Pôle emploi de 2022, est le nombre insuffisant de candidats (86%), puis le profil inadapté de candidats (71%) et dans une moindre mesure les conditions de travail (33%) ainsi que le déficit d’image (23%). Enfin, sont également identifiés le manque de moyens financiers (17%) et l’accès au lieu de travail (15%). (3)
Coté TPE et PME, ce sont les mêmes tendances et en première difficulté, les dirigeants évoquent également, le nombre insuffisant de candidats (79%). Pour 69% des dirigeants, le profil sont inadéquats et pour 59% d’entre eux, les prétentions salariales sont inadaptées (Enquête CPME en octobre et novembre 2022). (4)
Des problèmes de recrutement, quelle que soit la taille de l’entreprise
58 % des recrutements en 2022 étaient jugés difficiles par les entreprises (+13 % par rapport à 2021), selon l'enquête BMO. (3). Les résultats du Baromètre Ifop-Cadremploi-Selescope (décembre 2022) sur les intentions des entreprises françaises face aux enjeux de recrutement, auprès de 400 dirigeants français confirment cette tendance. En effet, un dirigeant sur deux éprouve des difficultés actuelles d’embauche alors que près d’un tiers souhaite augmenter ses effectifs (5).
Et dans les TPE et PME, cette difficulté est davantage perçue : pour 91% des dirigeants, c’est un épreuve avec la remontée de difficultés de recrutement (Enquête CPME en octobre et novembre 2022).
Ces difficultés de recrutement s’accompagnent également d’échecs de recrutement : plus d'1 entreprise sur 2 reconnaît un taux d'échec de recrutement supérieur à 25%...La raison invoquée de ces échecs est d’abord le manque d’implication et de volume de travail de la part des recrues (40%, soit + 2 points par rapport à 2021) surtout dans les entreprises de plus de 250 salariés et le défaut de compétences « métier » (39%, soit +13 points) surtout dans les TPE et dans les entreprises situées en région.
Des difficultés de recrutement concentrés sur 20 métiers…
Selon les prévisions Adecco Analytics pour fin 2022-début 2023 par, sur les 532 métiers du référentiel ROME de Pôle emploi, les 20 premiers métiers concentrent à eux-seuls 1,8 million de recrutements anticipés, soit 39 % des prévisions. Et parmi ces 20 premiers métiers, 17 sont en tension (6).
- En tête de liste des secteurs en tension figurent l'hôtellerie-restauration, dont le métier du service en restauration (193 000 prévisions de recrutement, contre un déficit de ressources estimé à 150 000 candidats), le personnel de cuisine (164 000 prévisions de recrutement et jusqu’à 100 000 candidats manquants et enfin le personnel polyvalent en restauration (130 000 projets de recrutement contre un manque de 50 000 à 75 000 candidats manquants).
- Le transport et l’entreposage sont également confrontés à des tensions importantes notamment pour les métiers du magasinage et de la préparation de commandes (200 000 projets de recrutement contre près de 50 000 candidats manquants). Le métier de la conduite de transport de marchandises sur longue distance devrait connaitre 83 000 projets de recrutement, contre près de 25 000 candidats manquants.
- Le commerce et la distribution ne sont pas épargnés avec de nombreux métiers qui figurent dans le top 20 des plus recrutés en 2023 (mise en rayon libre-service, vente en habillement et accessoires de la personne, personnel, vente en décoration et équipement du foyer), aux côtés de deux professions particulièrement « pénuriques » : la relation technico-commerciale (90 000 projets de recrutement, contre 50 000 à 75 000 candidats manquants), la vente en alimentation (78 000 projets de recrutement, contre près de 25 000 candidats manquants).
- L’industrie agroalimentaire est aussi très impactée, plus spécifiquement concernant le recrutement des métiers de conduite d’équipement de production alimentaire (67 000 recrutements prévus, contre 25 000 à 50 000 candidats manquants) ou encore dans l’aéronautique.
- Les services aux entreprises et les fonctions supports peinent tout autant à attirer les professionnels de la comptabilité (82 000 projets de recrutement contre près de 50 000 candidats manquants) ou encore du développement informatique (68 000 projets, contre 25 000 à 50 000 candidats manquants).
- Mais ce sont les métiers du tertiaire et plus précisément les fonctions support (comptables, informaticiens, commerciaux…) qui offrent les plus gros volumes de recrutements dans les mois à venir, suivi par les services aux entreprises, comme la sécurité ou le nettoyage des locaux.
- Enfin, au sortir de la crise sanitaire, les besoins dans les métiers de la santé resteront toujours aussi nombreux, en particulier pour les aides-soignants.
La situation est particulièrement critique pour les recrutement des cadres et ce n'est pas étonnant avec un taux de chômage seulement de 4,1 %, soit presque deux fois moins que le taux de chômage global de 7,9 %. De surcroit, 87% des cadres auraient songé à démissionner en 2022 et 71% y pensent pour les deux ans à venir, selon la dernière enquête du cabinet Robert Walters menée auprès de 1700 cadres. (7) Ajoutons qu'à ce quasi plein emploi et au désir de mobilité externe des cadres, trois quarts des entreprises projetaient de recruter un cadre au 1e trimestre 2023 et s’attendent à rencontrer des difficultés.(8)
Des tensions de recrutement sur tout le territoire français
Si l’Ile-de-France devrait proposer près d’1 million de recrutements anticipés sur un an et représentent plus d’un recrutement sur cinq, les régions représentent 80% des besoins : Auvergne-Rhône-Alpes, avec près de 600 000 recrutements prévus, suivi par les grandes régions du sud (PACA, Nouvelle Aquitaine, Occitanie), puis celles du nord (Hauts-de-France et Grand-Est). Les autres régions, plus petites, seront aussi porteuses de nombreuses opportunités en proportion et les dynamiques locales resteront soutenues sur tous les territoires en France métropolitaine.
Des conséquences sur le chiffres d’affaires…
Plus de la moitié des interviewés estiment que ces difficultés de recrutement ont un impact négatif sur leur activité : 38% indiquent ne pas pouvoir répondre à la demande et 32% considèrent qu’elles freinent leur développement, notamment dans les entreprises de plus de 50 salariés et celles qui veulent renforcer leurs effectifs (Baromètre Ifop-Cadremploi-Selescope). (5)
Coté TPE ET PME, les conséquences pour les entreprises sont tout aussi problématiques pour leur chiffres d’affaires, puisqu’un tiers de ses dirigeants déclare refuser des commandes ou des ventes…
Des recrutements qui ne profitent pas à la diversité…
Les directions ne sont pas prêtes à faire des concessions sur les profils. Ainsi, 66% des dirigeants d’entreprise selon le Baromètre Ifop-Cadremploi-Selescope (+15% par rapport à 2021) déclarent cependant vouloir privilégier le recrutement de profils identiques, aux parcours bien définis et ayant fait leurs preuves. Seulement 34% (-15 points) préfèrent recruter des profils atypiques pour développer leur activité…Et même 6 chefs d’entreprise sur 10 affirment vouloir recruter des personnes avec un « potentiel » (compétences non techniques : savoir-être et capacité d’apprentissage) tandis que 40% souhaitent favoriser des personnes présentant des compétences fonctionnelles. Cette dernière tendance se vérifie particulièrement dans les entreprises de plus de 250 salariés (54%) et dans le secteur des services (45%).
La pénurie de compétences profiterait-elle à la diversité ? Rien n’est moins sûr. Pour citer le seul critère de l’origine, 31 % des employés français se déclarent avoir été victimes ou témoins de discrimination raciale et/ou ethnique en entreprise (enquête Glassdoor de septembre 2022). Coté seniors, le taux d’emploi n’est que de 35,5 % pour les 60-64 ans en France…
Le difficile alignement des entreprises sur les attentes des candidats…
Et ces attentes ont beaucoup évolué… Dans l’enquête « Ce que veulent les candidats » réalisée par Robert Half et publiée en novembre 2022 (2), parmi les salariés qui prévoient de changer d’emploi dans les 6 prochains mois, 58% d’entre eux souhaitent changer d’activité ou faire une reconversion professionnelle. Parmi les raisons qui poussent à vouloir changer d’entreprise, figurent le salaire (62%), l'équilibre de vie professionnelle et vie personnelle (38%) et l’ennui (avoir fait le tour de son poste, 32%). Viennent ensuite le manque de perspectives et d’évolution interne (31%), la quête de sens (28%). La culture d’entreprise qui n’est pas à la hauteur de ses aspirations apparait à hauteur de 18% et le manque d’action liés à la Diversité, l’équité et l’inclusion à hauteur de 6%. Les employeurs doivent donc autant se battre autant sur le volet de l’attractivité de l’offre employeur pour les candidats que celle de l'expérience collaborateur pour retenir leurs talents et pour être en cohérence avec leur promesse.
Coté TPE et PME, selon l’enquête réalisée par la CPME pour pallier les difficultés, deux tiers ont dû augmenter le salaire à l’embauche (67%). Ces candidats formulent de nouvelles attentes et à titre d’exemple ne souhaitent plus forcément être recrutés en Contrat à Durée Indéterminé : 31% des dirigeants interrogés ont déjà été confrontés au refus d’un travailleur lorsqu’un CDI était proposé en fin de CDD. Selon eux 11% estiment que les salariés qu’ils recrutent préfère un CDI à un CDD. (2)
Dans le rapport conjoint Indeed et Glassdoor, il ressort que si le salaire reste la principale raison de conserver son emploi ou d’en chercher un autre, les salariés exigent un plus grand bien-être dans leur expérience professionnelle, recherchent la flexibilité et des niveaux de satisfaction accrus. Ce sont 46% des personnes qui déclarent que leurs attentes en matière de bonheur au travail ont augmenté (9).
Aux Etats-Unis, l’évolution de la main-d’œuvre met la diversité, l’équité et l’inclusion au premier plan. 62% des travailleurs interrogés dans le cadre d’une enquête récente ont déclaré qu’ils envisageraient de refuser une offre d’emploi ou de quitter une entreprise s’ils ne pensaient pas que leur responsable soutenait des initiatives en faveur de la diversité, de l'équité et de l'inclusion. Une tendance qui pourrait bien s’inviter davantage en France.
Et des attentes, coté « expérience candidat »
L’enquête ChooseMyCompany en France apporte également des informations intéressantes en matière d’attente relative à l’expérience candidats : quatre grands critères ont contribué à valoriser les meilleures expériences vécues de la part des candidats : la transparence, la culture d'entreprise, la performance RSE et la qualité des informations mises à disposition (10). Bien des entreprises, sont loin d'une telle offre auprès de leurs candidats, malgré les beaux discours autour de la marque employeur…
Des volumes croissants d’embauche, quelle que soit la taille de l’entreprise et la région et dans de nombreux secteurs, des pénuries vertigineuses, des salariés très à l’écoute du marché ou en recherche active, ainsi que des attentes grandissantes de la part des candidats à la fois en termes de promesse employeur et d’expérience candidat…Autant de facteurs qui donneront des sueurs froides aux Directions des ressources humaines dans les années à venir…Plus encore si elle ne mènent pas dès à présent une véritable révolution dans leurs pratiques de recrutement, mais surtout dans leur stratégie RH, l'organisation et les conditions de travail et le management. Et cela va bien au-delà de la part des entreprises des actions cosmétiques, certes nécessaires, telles que les améliorations des outils de recrutement, la digitalisation du recrutement ou encore du choix du prochain ATS (logiciel de gestion des candidatures)…Et cela va bien au delà des actions des seules entreprises et concerne les politiques de l'emploi, d'immigration, de l'éduction…
(1) Enquête « We Can Fix Work » menée par le Workforce Institute de UKG dans 10 pays auprès de collaborateurs, dirigeants et professionnels RH) ici
(2) Enquête Robert Half menée en novembre 2022 auprès d'un échantillon représentatif de 1 000 salariés français ici
(3) Enquête BMO POLE EMPLOI ici
(4) Enquête CPME nationale ici
(5) Enquête Selescope Cadremploi ici
(6) Prévisions de recrutement et de métiers en tension pour fin 2022-début 2023, Adecco Analytics ici
(7)https://www.robertwalters.fr/news/presse-etude-remuneration-2023.html
(8) Source Apec, Baromètre Apec du 1e trimestre 2023, février 2022
(9) Rapport sur l’évolution du travail et la satisfaction des collaborateurs (2023 Hiring & Workplace Trends Report), Indeed.com et Glassdoor ici
(10) Enquête ChooseMyCompany - Avis Certifiés ESG 🌍 menées du 1er octobre 2021 au 30 septembre 2022 auprès de 20 324 candidats.