Claire Hédon, Défenseure des droits formule une série de propositions ambitieuses en matière de lutte contre les discriminations : "Lutter contre les discriminations : les recommandations transversales du Défenseur des droits". Dans ce document d'une quarantaine de pages, publié le 8 février 2024, les recommandations sont structurées en 8 fiches, dont l'une est consacrée à la mesure des discriminations.
La mesure de la discrimination : un enjeu fort
Parmi ces recommandations, figure la création d'un Observatoire national, qui constitue, selon moi, une excellente proposition compte tenu du manque de repères dont disposent les acteurs publics et privés pour agir. Depuis la transposition des directives européennes en la matière en 2001 et la création de la Charte de la diversité en 2004, qui mobilise aujourd'hui 4 500 organisations, Il est temps, vingt ans après de vérifier l'efficacité des mesures mises en place...Certes les entreprises titulaires du Label Diversité, remis par AFNOR Certification se doivent de mettre en place des outils de mesures, mais le cahier des charges ne définit pas le référentiel d'indicateurs et cela ne concerne qu'une centaine d'organisations. L'Association Française des Managers de la Diversité (AFMD) a mené plusieurs travaux sur la mesure de l'inclusion en 2019 ("Vers l’organisation inclusive : Mesurer pour progresser") et plus récemment en recensant les différentes méthodes d'évaluation de 75 organisations (Évaluer pour agir : les diagnostics statistiques au service des politiques d’égalité"). La conclusion de cette étude est que de nombreuses organisations "n’ont pas connaissance des outils à leur disposition ou maîtrisent mal leurs modalités d’application", qui par ailleurs représentent un investissement financier important. De plus, selon leurs auteurs, "la médiatisation du testing cannibalise parfois la prise en main des autres outils d’audit ou de pilotage RH". Si des initiatives en matière de mesure de la prévention des discriminations sont prises par les directions des entreprises et que des associations tentent de les coordonner, elles demeurent essentiellement le fait de grandes organisations. Et sur le plan "macro", à l'échelle de notre pays, la radioscopie des discriminations par critère et dans les différentes activités (travail, accès au logement, aux services...) demeure une lacune.
La Le Défenseur des droits insiste, à juste titre, sur la nécessité de disposer de données objectives relatives à la discrimination, ce qui est loin d'être le cas à ce jour. Or, ces données permettent de rendre compte de la réalité des discriminations et ainsi d’élaborer et de suivre les politiques publiques et celles mises en place par les organisations.
En France, ces données sont parfois limitées pour certains critères et elles ne sont pas collectées assez régulièrement, ni suffisamment coordonnées (par exemple : l'enquête « Trajectoires et Origines », menée par l’Insee et l’Ined - Institut national d'études démographiques n'a été conduite que récemment et il y a 10 ans). Les campagnes de testing sont souvent limitées au champ de l’emploi, sont trop ponctuelles et n’ont pas permis aux organisations de se doter d’instruments de mesure leur permettant véritablement d’analyser leurs pratiques et de mener des actions préventives.
La Défenseure des droits formule 4 propositions majeures en matière de mesure des discriminations :
1. Mieux connaître les populations exposées aux discriminations en demandant aux acteurs de la statistique publique de développer la collecte et le traitement de données permettant de mieux renseigner les conditions de vie des populations exposées aux discriminations et des enquêtes permettant le recueil des expériences de discrimination.
2. Créer un Observatoire national des discriminations. Cet Observatoire aurait pour vocation à produire des données partagées et suivies, aussi bien sur les discriminations elles-mêmes que sur le suivi des mesures mises en place pour y remédier, telles que les obligations de formation des recruteurs et des agents immobiliers. Il permettrait également de développer des actions de mesure telles que le testing, mais aussi d’évaluer des actions correctrices expérimentales et d’aiguiller les politiques publiques. Ces campagnes de testing devraient être régulièrement réalisées et suivies dans la durée pour accompagner les entités testées et leur permettre de mettre en place des actions préventives.
3. Mesurer au sein des organisations, notamment par le testing et par différentes méthodologies adaptées.
Le testing n’est pas pertinent pour certains critères et certains processus, par exemple pour les discriminations continues ou qui s’étalent dans le temps (déroulement de carrière, attribution d’un logement social, scolarité…) ou lorsque les caractéristiques ne sont pas visibles ou apparentes (via une photographie, le patronyme, le prénom, l’âge).
Ces testings doivent donc être complétés par d’autres approches, telles que les enquêtes de victimation, c’est-à-dire en demandant aux organisations d’interroger leur personnel, leurs usagers ou leurs clients sur les situations de discriminations qu’ils ont rencontrées ou dont ils ont été témoins.
D’autres méthodologies d’enquêtes permettent également d’analyser les écarts de situation et de parcours entre les personnes selon leur appartenance ou non à un groupe exposé au risque discriminatoire(par exemple, des écarts de rémunération et de promotions…).
L’établissement d’un diagnostic et une analyse des écarts de situation entre les personnels constitue une première étape vers l’établissement d’un plan d’action. Au-delà des diagnostics préalables à la mobilisation et à une action ciblée, la mise en place d’indicateurs quantitatifs doit permettre de suivre la mise en œuvre et d’évaluer l’efficacité des actions engagées au sein des organisations. C’est le cas de l’index de l’égalité professionnelle, qui présente néanmoins de limites et qui ne reflète pas toujours la réalité des inégalités dans les organisations ou encore de l'« Index diversité et inclusion », qui a fait l’objet d’une expérimentation.
4. Enfin, la Défenseure des droits déplore l’absence de référentiel partagé et considère qu’il faudrait faire converger les différentes obligations réglementaires portant sur la production de données en matière de RSE et de renforcer la cohérence des informations. Un groupe de travail pourrait être constitué afin de préciser ou compléter les indicateurs existants (le portail RSE liste déjà 47 indicateurs sur les enjeux sociétaux et la gouvernance).
ux et la gouvernance).