Alors que les syndicats et le patronat sont en pleine négociation sur l’emploi des seniors, dans le cadre du « Pacte de la vie au travail ».
83 % des travailleurs jugent les actions en faveur de l’employabilité des seniors insuffisantes de la part des entreprises. Et ils sont 76 % pour ce qui concerne les actions de la part des pouvoirs publics. C’est ce qui ressort de la 4e édition du baromètre du Groupe Apicil. *
Et la thématique devient épineuse avec le recul de l’âge de départ à la retraite à 64 ans et par conséquent l’allongement des carrières. Selon la DARES, en 2022, les 55 à 64 ans n'étaient que 56,9 % à occuper un poste (contre 62,4 % en moyenne dans l’Union européenne, soit 5 points de moins et la 17ème position parmi les 27 pays de l’Union européenne), alors qu’ils devront être actifs encore deux années supplémentaires. Mais cela se gâte, lorsque l’on examine le taux d’emploi des 60-64 ans qui atteint le triste record de 36,2 %.
Et la thématique devient urgente : patronat et syndicats doivent trouver un accord sur le maintien en emploi et les conditions de travail des salariés âgés, dans le cadre du « Pacte de la vie au travail ». Après 12 réunions, cette date a été repoussée au 8 avril prochain et les partenaires devront trouver un compromis…
Dans cette enquête réalisée par OpinionWay publiée cette semaine, il ressort clairement que les seniors sont au centre de toutes les attentions des Français : ressenti de discrimination, malgré la perception d’une réelle valeur ajoutée des travailleurs âgés, insuffisance des mesures pour améliorer leur employabilité de la part des entreprises et de pouvoir publics.
Voici les principaux chiffres que j’ai retenus de cette enquête :
- Discrimination des seniors : l’âge est perçu comme le 4e domaine sur lequel il y a le plus de discrimination en France (81 %). Près d’un collaborateur sur deux a déjà vu un candidat ne pas être recruté en raison de son âge (45 %), ou être mis au placard pour cette même raison (42 %). D’autres ont été témoins d’un refus d’une promotion (33 %) ou d’une reconversion (31 %), tandis qu’un cinquième des salariés ont eux-mêmes été victimes de discrimination liée à leur âge. 65 % s’inquiètent du traitement réservé aux seniors et du manque d’actions en faveur de leur inclusion dans la société. 89 % des répondants estiment qu’il est difficile pour une personne âgée de 50 ans ou plus de trouver un emploi. Dans une autre enquête européenne (Eurobarometer 2023) lorsque l’on demande aux Français quel est le critère qui désavantage le plus un candidat à compétences et qualifications égales, c’est celui de l’âge (être trop jeune ou trop âgé) qui arrive en deuxième position (63 %) après celui de l’apparence physique (67 %) et qui connait une forte progression depuis la dernière enquête en 2019 (+ 7%). **
- Les seniors : une richesse pour l’organisation : c’est ce que pensent 90 % des Français. La collaboration intergénérationnelle est indispensable à la transmission des savoirs (92 %). Elle favorise l’innovation (87 %) et le développement du mentorat des jeunes (90 %).
- Les compétences des seniors sont insuffisamment exploitées au sein de leur entreprise, pour 67 % des répondants
- Des seniors appréciés par leurs collègues : leur expérience (74 %) et leur capacité à transmettre leurs savoirs (49 %). Une part importante des salariés exprime aussi apprécier la bienveillance dont les seniors savent faire preuve, leur fiabilité et leur patience.
- Seulement 1 collaborateur sur 2 considère que son organisation a déployé des actions en faveur de l’inclusion des seniors et 56 % ne se sentent pas bien informés des dispositifs mis en place
- Le maintien dans l'emploi des seniors : première action prioritaire pour favoriser l’inclusion au sein des organisations de la part des Français, (29 %, dont 36 % des 50 ans et plus)
- 2 chantiers à mener en priorité dans les entreprises : l’adaptation des postes de travail (39 %) et le développement de programmes de mentorat (39 %, dont 49 % chez ceux âgés de 50 ans et plus). Viennent ensuite des formations aux outils numériques et un accompagnement vers la fin de carrière
- L’employabilité des seniors : un enjeu important face aux difficultés de recrutement que connaissent les entreprises : pour 86 % des salariés
Négociation du Pacte de la vie au travail pour favoriser le maintien en emploi et les conditions de travail des salariés âgés
Le patronat et syndicats doivent trouver un accord sur le maintien en emploi et les conditions de travail des salariés âgés, dans le cadre du « Pacte de la vie au travail ». Initialement, l'emploi des seniors devait être discuté dans le cadre du projet de réforme loi « plein-emploi». Le 14 novembre 2023, ce texte a été adopté, mais deux jours après, le Conseil constitutionnel a été saisi d'un recours. Le texte a finalement été publié en décembre 2023, mais il revient aux syndicats et aux patronats de trouver des solutions sur le sujet. Le Ministère du travail a communiqué aux syndicats et au patronat un document d’orientation, dont l’une des principales lignes directrices serait d’augmenter l’emploi des seniors : l'objectif de maintenir ces travailleurs à leur poste et d’atteindre le plein-emploi des seniors, soit 65 % des 60 à 64 ans en activité en 2030. Parmi les autres orientations, figurent la lutte contre l’usure professionnelle et la prévention de la pénibilité au travail, la facilitation des reconversions professionnelles. Enfin le ministère du Travail souhaite créer un « Compte Epargne Temps Universel » (CETU), qui devrait permettre au salarié ne disposant pas d'un compte épargne temps via son entreprise ou sa branche, de pouvoir y épargner ses jours de congé non pris, afin de pouvoir les utiliser, quel que soit leur employeur.
Les propositions des syndicats
Les organisations syndicales CFDT , CGT SYNDICAT , Force Ouvrière, CFE-CGC et Syndicat CFTC ont formulé 10 propositions en commun pour le Pacte de la Vie au Travail le mois dernier.
Parmi ces propositions, les syndicats veulent renforcer le dialogue social pour améliorer l’emploi des seniors en mettant en place un bilan social de branche et en rendant obligatoire la négociation d’entreprise sur cet enjeu. Les organisations syndicales proposent de mettre en place un système de pénalité lorsque les objectifs d’amélioration du taux d’emploi des seniors ne seraient pas atteints.
Concernent la formation, sont proposés la création d'un véritable droit à la reconversion professionnelle et le pilotage d'une stratégie nationale de la reconversion dans un lieu paritaire commun. A cela s’ajoutent le souhait de faire du Conseil en évolution professionnelle un droit effectif pour l’ensemble des salariés, ainsi que l’ouverture de la négociation obligatoire les plans de développements des compétences dans les entreprises de plus de 1 000 salariés.
En ce qui concerne les aménagements de fin de carrière, les organisations veulent renforcer par la négociation collective la prévention de l’usure professionnelle en rendant obligatoire la cartographie des métiers à risque et fort taux de sinistralité dans les branches et les entreprises, afin d’anticiper les reconversions et de mettre en place des plans de prévention obligatoires intégrant les aménagements de fin de carrière. Sont également prévues le droit à la retraite progressive opposable 4 ans à partir de 60 ans et le maintien des cotisations retraites à 100 % lorsque le salarié passe à temps partiel dans sa dernière partie de carrière.
Initialement, le projet de réforme des retraites défendu par la majorité présidentielle devait créer l’index senior, proposé par L'ANDRH mais ce dernier a été rejeté par le Conseil constitutionnel. Dans ce cadre, un CDI senior devait également être expérimenté pour faire bénéficier l’employeur en CDI d’un demandeur d’emploi de plus de 60 ans d'un régime de faveur en matière de cotisations sociales. Ce projet fait l’objet d’une opposition par les organisations syndicales CFDT, CGT, FO, CFE-CGC et CFTC.
Les propositions du patronat
Les trois organisations patronales (MEDEF, CPME, U2P) ont transmis une nouvelle version du projet d’ANI en faveur de l’anticipation et de l’accompagnement des transformations du travail et de l’emploi, ce mercredi 3 avril 2024. Le texte servira de base pour une ultime négociation.
Parmi les projets, figurent :
- L’intégration de l’emploi et de l’amélioration des conditions de travail des salariés seniors dans les thèmes de la négociation obligatoire sur la Gestion des Emplois et Parcours Professionnels (GEPP). La négociation obligatoire serait applicable aux entreprises d’au moins 300 salariés (et non plus d’au moins 1 000 salariés), a minima tous les quatre ans et devrait porter sur l’emploi des seniors.
- Les organisations patronales ne parlent plus de « CDI senior » (auquel était opposées les organisations syndicales et c’est un point sensible pour elles) ou de CDI « fin de carrière », mais proposent désormais un « Contrat de valorisation de l’expérience » expérimental. Cette forme de CDI serait ouverte aux demandeurs d’emploi de 60 ans et plus inscrits à France Travail.
- Ils souhaitent également réviser les modalités pour donner de la visibilité sur les fins de carrière : en prévision de l’entretien bilan et perspectives professionnelles à 60 ans qui doit permettre de faire le point avec le salarié sur les modalités d’organisation de sa fin de carrière, le salarié, lors de la communication de son relevé de carrière, se voit proposer par l’assurance-retraite l’envoi à l’employeur de sa date prévisionnelle d’obtention des conditions de liquidation de sa retraite à taux plein
- Est également proposée la possibilité de compenser partiellement la perte de revenu lors d’un passage à temps partiel de fin de carrière : quand le passage à temps partiel est accepté, la perte de revenu qui en résulte peut être compensée partiellement par l’employeur selon des modalités définies soit par accord de gré à gré entre le salarié et l’employeur, soit par accord collectif d’entreprise ou de branche. Dans la version précédente du texte, les organisations patronales proposaient une compensation partielle et non pas une possibilité de compensation partielle…
Au vu des enjeux de l’emploi des seniors, dont seul un peu plus d’un tiers est en emploi en France (pour les 60-64 ans), espérons que les négociations aboutissent à un accord efficace qui redonne une réelle chance aux seniors de retrouver leur place au travail plutôt que de bénéficier de l’assurance chômage. D’autant plus qu’avec la réforme des retraites, les seniors devront être actifs encore deux années supplémentaires. C’est une question de responsabilité sociétale, mais également de performance des entreprises, qui seront confrontées de plus en plus à des pénuries de compétences et qui ne pourront se permettre d’écarter une partie de leurs viviers de compétences.
Et tout se tient pour faire évoluer la situation des seniors : réforme des retraites, gestion de carrière, reconversion professionnelle, prévention de l’usure professionnelle, aménagements de fin de carrière, modalités de contrat de travail…Un levier n'est cependant pas abordé dans Le Pacte de la vie au travail et qui n'est pas facile à actionner. Il s'agit de la prévention des stéréotypes dont beaucoup de travailleurs seniors sont encore l'objet. Dans une étude réalisée par cabinet Oasys & Cie en 2024, certes les managers apprécient leurs collaborateurs seniors et leurs reconnaissent des compétences. Ils pointent néanmoins certaines difficultés, telle que la résistance au changement (76 %), le surcoût (75 %), les difficultés face aux technologies (63 %) et la moindre mobilité (57 %).***
Pour faire évoluer les mentalité des équipes Ressources humaines, des managers et de l'ensemble des collaborateurs, des sensibilisations à la prévention des préjugés sont indispensables, en parallèle de tous les dispositifs du Pacte de la Vie au Travail. Et ce, afin d'agir sur les décisions de recrutement et de gestion de carrière, mais également pour une réelle inclusion des seniors en entreprise. Il serait également indispensable d'insister sur l'intergénérationnel dans le Pacte de la Vie au Travail, afin que toutes les communautés générationnelles se comprennent, s'enrichissent et apprennent les une des autres.
* 4ème édition du baromètre du Groupe Apicil, « Inclusion – Le regard des Français sur les seniors en entreprise » réalisée avec OpinionWay, auprès d’un échantillon représentatif de 1029 Français âgés de 18 ans et plus.
** Special Eurobarometer 535 Discrimination in the EU April-May 2023
*** Quel regard l'entreprise porte-t-elle sur les seniors? Oasys, 23 mai 2023)
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