Rien n'est moins sûr...En préambule, rappelons que l’égalité entre les femmes et les hommes est loin de progresser aussi rapidement que nous le souhaiterions… Au rythme où vont les choses, il faudra 169 ans pour atteindre la parité économique dans le monde, selon le rapport du World Economic Forum en 2023… (1) L’écart de rémunération s’élève à 20% à l’échelle mondiale et en Europe à 13 %. En France, le revenu salarial moyen des femmes est inférieur de 24 % à celui des hommes dans le secteur privé.
Cette directive européenne 2023/970 du 10 mai 2023 est donc la bienvenue ! (2). Elle vise à renforcer l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes, à travail égal par la transparence des rémunérations. A travail égal…mais également pour un travail de même valeur ; ce point constituant sans nul doute une avancée d’une très grande portée et que peu d’observateurs ont pointé du doigt. Publiée il y a bientôt un an, la directive doit être transposée en droit interne au plus tard le 7 juin 2026. Elle s’inscrit dans un courant mondial, avec des progrès notables outre-Atlantique. Et ce n’est pas un hasard. L’ORGANISATION INTERNATIONALE DU TRAVAIL (OIT) constate un regain d’intérêt pour la lutte contre l’écart salarial entre les sexes, car les effets de la pandémie de COVID-19 se sont fait sentir différemment sur les hommes et sur les femmes, ces dernières travaillant en plus grand nombre dans les secteurs les plus durement touchés et dépendant de l’emploi informel. L’organisation vient d’ailleurs de publier un document qui propose une cartographie détaillée des législations en vigueur en matière d’égalité des salaires dans les pays du monde entier et qui confirme cette tendance. (3)
Les mesures prévues dans la directive vont bien au-delà de l’Index de l’égalité professionnelle en France. Si cet index dit « Pénicaud », du nom de la ministre du Travail, à l’origine du dispositif créé en 2019, constituait déjà une avancée sur ce thème et sera prochainement réformé, il se limite à seulement cinq indicateurs relativement imprécis et comprend des « erreurs de méthodes », selon la Cour des comptes. La directive européenne sera un progrès de plus pour la transparence salariale, laquelle est sans conteste un outil majeur pour atteindre l’égalité de rémunération et pour faciliter la négociation salariale. Un exercice où les femmes ne sont pas à armes égales. Ainsi, une étude américaine d’Indeed en décembre 2020 montrait que 41% des femmes déclaraient être très ou assez mal à l'aise dans cet exercice, contre seulement 21 % des hommes. (4)
Des inégalités malgré des décennies d’engagement sur le plan européen
Cette directive fait suite à de nombreux textes majeurs pour davantage d’égalité pour les femmes, tels que la convention des Nations unies de 1979 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, le traité sur l’Union européenne qui consacre le droit à l’égalité entre les femmes et les hommes, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 ou encore la Directive 2006/54/CE relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail …Des textes qui n’ont pourtant pas permis d’atteindre cette égalité entre les femmes et les hommes…
Une jurisprudence française récente en faveur de la transparence salariale
Cette directive européenne arrive juste après un arrêt récent en France de la Cour de cassation du 8 mars 2023, selon laquelle les femmes peuvent exiger de leur entreprise qu’elle fournisse la fiche de paie des collègues masculins occupant des postes de niveau comparable au leur. Pour la Cour de cassation, cette communication est indispensable à l'exercice du droit à la preuve et est proportionnée au but poursuivi, c’est-à-dire « à la défense de l'intérêt légitime de la salariée à l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail ». (5). L’évolution de la jurisprudence française traduit bien l’évolution de notre société et le refus de l’opacité des politiques de rémunération.
Une révolution dans un pays où le salaire est un tabou
L’esprit de cette directive constitue une révolution, dans un pays comme la France où la rémunération demeure encore trop souvent un tabou. Et ce n’est pas avec ses collègues, que l’information sera accessible puisque plus de la moitié des salariés ne parlent pas de leur salaire avec eux, selon une étude réalisée par Robert Half en 2024 (6). La solution serait donc que ces informations soient accessibles par le biais de la ligne managériale ou de la direction des ressources humaines de l’entreprise. C’est pourtant rarement le cas. Pour les employés, il est donc difficile de savoir s’ils sont rémunérés à leur juste valeur, sans connaître les règles et surtout les comparatifs par rapport à leurs collègues. Qui plus est, lorsqu’il est question d’identifier une discrimination à l’encontre des femmes.
Cette discrimination est bien réelle. Rappelons, qu’en France, le revenu salarial moyen des femmes est inférieur de 24 % à celui des hommes dans le secteur privé. En équivalent temps plein, le salaire moyen des femmes est inférieur de 15 %. A poste comparable, à savoir, pour une même profession exercée chez le même employeur, l’écart de salaire est de 4 %. La situation est particulièrement défavorable en haut de l’échelle des rémunérations, puisque les femmes ne représentent que 22,8 % des 1 % des salariés les mieux rémunérés. (Enquête Insee 7)
Et en Europe ? Dans la directive de 2023, il est rappelé que l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes dans l’Union persiste et s’élève à 13 % en 2020, avec des variations importantes entre les États membres. Pire encore, il n’a que très peu diminué au cours des dix dernières années.
L’une des avancées majeures de la directive : la transparence des rémunérations à l’embauche
C’est bien à l’embauche que tout commence et bien souvent, il est très difficile de rattraper le retard pour une femme dont la rémunération est mal évaluée au début de sa carrière, y compris en cas de mobilité externe. La directive prévoit un droit à la transparence des rémunérations avant l’embauche : tout candidat à un emploi dispose d’un droit de recevoir de l’employeur potentiel des informations sur la rémunération initiale ou la fourchette de rémunération initiale. Un tel droit permet de garantir une négociation davantage éclairée et transparente.
C’est une excellente mesure, car le manque de transparence nuit particulièrement aux femmes qui pour certaines ne sont pas à l’aise, lorsqu’il s’agit de négocier leur rémunération. De surcroit, encore trop d’entreprises s’appuient sur la rémunération du candidat au poste précédent ; ce qui a pour effet de reproduire les inégalité passées, alors que seuls le contenu du poste et le niveau de responsabilité du poste à pourvoir devraient être pris en considération. Rappelons, selon la CNIL, que la collecte des bulletins de paie par un recruteur apparaît disproportionnée et incompatible avec les exigences légales. (8)
Cette opacité n’est d’ailleurs pas une fatalité, puisqu’au Royaume-Uni, la pratique d'afficher le salaire dans les annonces est la plus répandue (plus de 70 %), selon une étude d’Indeed de 2023 (9). Aux Etats-Unis, dans au moins huit États (Californie, New York, New Jersey, Washington...), les employeurs sont désormais tenus d'indiquer les échelles salariales dans les descriptions de poste, lorsque les candidats le demandent ou à certaines étapes du processus d'embauche. D’autres Etats devraient introduire cette mesure dans les années à venir. En 2023, un nouveau projet de loi, le Salary Transparency Act, a même été présenté au Congrès. Il avait pour objectif d’imposer aux employeurs d’indiquer une échelle salariale dans les offres d'emploi, mais il n’a toutefois pas été débattu. (10)
Au-delà des principes éthiques et d’égalité, la transparence constitue un élément d’attractivité, dans un contexte où les entreprises peinent à recruter. En France, dans une enquête réalisée par HelloWork en 2022, il ressort que le salaire est jugé comme étant important pour près de neuf candidats sur dix, alors qu’il n’est indiqué de manière systématique que par 30% des entreprises et qu’une sur trois ne l’indique jamais. Près de la moitié des candidats (45%) sont moins susceptibles de postuler sans l’indication de rémunération dans l’annonce, selon cette enquête d’Hellowork. (11) Ne pas afficher le salaire dans les offres d’emploi dissuade un candidat sur deux, selon une autre enquête réalisée par Robert Half en 2024. (12)
Précisons que la transparence, selon la directive européenne concerne non pas seulement le salaire fixe, mais aussi tout autre avantage, payé directement ou indirectement, en espèces ou en nature (composantes variables ou complémentaires) par un employeur.
Autre mesure de la directive : mise à disposition des critères utilisés pour déterminer la rémunération
Bien évidemment, la fixation de la rémunération est déterminante à l’embauche, mais les écarts peuvent se creuser entre les femmes et les hommes tout au long de leur carrière. C’est pourquoi la vigilance doit être de tous les instants…La directive prévoit une obligation de transparence à l’égard des employeurs relative à la mise à disposition des critères utilisés pour déterminer la rémunération, les niveaux de rémunération et la progression des rémunérations. Avec ces nouvelles dispositions, les travailleurs disposeront du droit de demander et de recevoir des informations sur leur niveau de rémunération individuel et sur les niveaux de rémunérations moyens, par sexe et par catégorie de travailleurs accomplissant un travail de même valeur.
De plus, les entreprises d’au moins 100 salariés devront produire un rapport sur les écarts de rémunération entre femmes et hommes, par catégories de salariés (pour les écarts d'au moins 5 %). Ces données devront être publiées chaque année, pour les entreprises d’au moins 250 salariés et tous les trois ans, pour celles de 100 à 249 salariés.
Certes, certaines entreprises en France offrent aujourd’hui de manière volontaire le BSI (Bilan Social Individuel), à leurs salariés. Il s’agir d’un document annuel et individuel s’adressant spécifiquement à chaque salarié et qui résume principalement les différentes composantes de sa rémunération, ainsi que d’autres informations (congés, formations, mutuelle, remboursements de frais etc.). Mais ce document ne comprend pas d’éléments de comparaison, permettant au salarié de vérifier l’égalité de traitement au sein de son entreprise.
Dialogue social, charge de la preuve, création d’un organisme pour l’égalité de traitement, des mesures qui devraient accélérer l’égalité de traitement
A ces mesures de transparence des rémunérations, que ce soit à l’embauche ou durant sa carrière, s’ajoutent diverses mesures pour favoriser le dialogue social sur cette thématique. Par ailleurs, la directive met en place un droit à indemnisation pour tout travailleur ayant subi un dommage du fait d’une violation des droits ou obligations relatifs au principe de l’égalité des rémunérations. Comme c’est le cas déjà en cas de discrimination en général, la directive confirme le principe du renversement de la charge de la preuve. Il incombera donc au défendeur, dès lors qu’il existe des faits laissant présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, de prouver qu’il n’y a pas eu de discrimination en matière de rémunération. À défaut, il est prévu que les États membres déterminent un régime de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives à l’égard des employeurs concernés. Enfin, la directive prévoit la création d’organismes pour l’égalité de traitement dans chaque pays.
Les entreprises doivent s’y préparer…urgemment
Cette directive est donc une bonne nouvelle pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Elle intervient dans le contexte en France de la loi Rixain (13) qui incitera une plus grande représentation des femmes dans la hiérarchie des entreprises, une autre faiblesse en matière d’égalité professionnelle. Cette loi du 24 décembre 2021, visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle, oblige les entreprises d’au moins 1 000 salariés à compter du 1er mars 2022 à publier annuellement les écarts éventuels de représentation entre les femmes et les hommes parmi les cadres dirigeants et les membres des instances dirigeantes. Mais surtout, grâce à cette loi, à compter du 1er mars 2026, les entreprises devront atteindre un objectif d’au moins 30% de femmes et d’hommes cadres dirigeants et d’au moins 30% de femmes et d’hommes membres d’instances dirigeantes (40% à compter du 1er mars 2029).
Elisabeth BORNE, alors Première ministre a annoncé en octobre 2023, lors d’une conférence sociale réunissant les partenaires sociaux, une concertation afin de transposer la directive européenne en mars 2025, un an avant l’échéance prévu par le Parlement européen ; ce qui devrait donner lieu à un nouvel index d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, « plus transparent, plus fiable, plus ambitieux ».
Et de l’ambition en matière de transparence des rémunérations, Il en est besoin. Si les pratiques progressent, nous sommes encore loin du compte. Certes, en recrutement, selon une étude Indeed , la part d’annonces affichant un salaire dans le total des offres Indeed, a presque doublé entre 2019 et 2023. Plusieurs sites d’emplois affichent désormais une fourchette de rémunération sur l’ensemble de leurs offres d’emploi, comme c’est le cas de la plateforme Indeed ou le réseau professionnel LinkedIn . Mais 70% des offres d’emploi demeurent opaques en matière de rémunération. Dans le management au quotidien, les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes demeurent élevé et la transparence n’est pas au rendez-vous. Elle est d’ailleurs loin de convaincre les employeurs...seuls 56% d’entre eux pensent qu’une plus grande transparence des salaires facilitera les négociations salariales et près de 6 sur 10 pensent qu’elle entraînera des frictions entre collègues, selon une enquête de 2024 réalisée par Robert Half. (14)
Au-delà de la transparence salariale, la question majeure porte sur ce que l’entreprise révèlera de son système de rémunération et donc de management. Or, toutes les entreprises ne disposent pas d’une politique de rémunération et de grilles d’évaluation des compétences et des performances structurés, clairs et rationnels et ce, pour tous les éléments de la rémunération décrits par la directive européenne, notamment les composantes variables ou complémentaires. L’enquête de VTW confirme ce frein à la communication ouverte sur les salaires, à savoir l’existence de politiques de rémunération inadaptées (50%). (15) L’autre défi sera celui de la pédagogie de la part des équipes ressources humaines et des managers pour expliquer la logique du système de rémunération aux salariés.
Compte tenu de ces changements considérables pour les entreprises, notamment en termes de management, il est urgent que les directions d’entreprises accélèrent leur préparation à ces obligations dans un calendrier aussi proche. Derrière les chiffres du salaire, c’est tout un système de management, d’évaluation de la compétence et de la performance de l’entreprise que l’on pourra décrypter. Et il n’est pas certains que toutes les directions souhaitent lever le voile sur ce système…
1. https://www3.weforum.org/docs/WEF_GGGR_2023.pdf
2. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32023L0970
4. https://www.indeed.com/lead/the-importance-of-fair-pay-and-salary-transparency
5. https://www.courdecassation.fr/decision/64085bce66b1bafb02f11fb0
7. https://www.insee.fr/fr/statistiques/7766515
8. https://www.cnil.fr/fr/le-guide-du-recrutement
9. https://fr.indeed.com/lead/afficher-le-salaire-dans-offre-emploi-une-pratique-qui-gagne-du-terrain
10. https://www.congress.gov/bill/118th-congress/house-bill/1599
https://www.govtrack.us/congress/bills/118/hr1599
11. https://www.hellowork-group.com/fr/actualites/le-recrutement-en-2022-candidats-recruteurs/
13. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044559192
14. https://content.roberthalfonline.com/SG24/SG24-PDF/2024-Salary-Guide-France.pdf
L'Association Française des Managers de la Diversité (AFMD) ANDRH - Association Nationale des DRH Charte de la diversité Les entreprises pour la Cité Haut Conseil à l'Egalité entre les femmes et les hommes MEDEF CPME nationale CFDT U2P CGT SYNDICAT CFE-CGC Élisabeth Moreno Aurore Bergé Isabelle Rome Marlène Schiappa Bérangère Couillard Catherine Vautrin Le Défenseur des droits DILCRAH #salaire #rémunération #management #ressourceshumaines #discrimination #égalité #parité