Obscénité du processus de recrutement, violence et cruauté du monde du travail, candidats hachés menus… ce n’est pas moi qui parle ainsi mais le web qui depuis le début de la semaine, bruisse du scandale suscité par le documentaire de Didier Cros « La gueule de l’emploi ». Diffusion jeudi 5 octobre sur France 2 à 23h10.
> UPDATE : JE PASSE DEMAIN JEUDI 10H SUR FRANCE INTER A PROPOS DE CETTE AFFAIRE, DANS L'EMISSION "SERVICE PUBLIC" DE GUILLAUME ERNER
Pour le dire sans détour, je suis en tant que recruteur absolument scandalisé par les méthodes employées par le cabinet de recrutement qui apparaît dans ce film.
Je suis doublement scandalisé par le fait que ce genre de pratique porte ombrage à l’ensemble de la profession.
Je suis choqué par la façon dont sont traités les candidats
Revenons sur les méthodes de ces pseudo professionnels (le cabinet RST pour ne pas le nommer)...
Pourquoi le recruteur intervient-il de façon aussi autoritaire et antipathique ? Pour soi-disant déstabiliser les candidats afin de voir clair en eux ? Quelle fumisterie ! D’autant qu’à ce mauvais théâtre, s’ajoute l’emploi d’exercices parfaitement débiles – et vécus comme tels par les candidats. « Vendre un trombone, quand on est une compagnie d’assurance… » soupire à juste titre l’un d’eux…
Que dire de cet autre exercice, lamentable, qui consiste à « vendre » son voisin de table, et qui chez certain, réveille la pire des mémoires : l’un des candidats, métis de son état, racontera au réalisateur que cette épreuve l’a mis mal à l’aise au regard du passé esclavagiste. Au delà de la dimension morale, ce candidat n'a peut-être pu donner par la suite le meilleur de lui-même et le GAN s'est alors privé d'une recrue de choix. Qui sait...
Exercice suivant : les candidats défendent un "personnage" contre un autre afin d'avoir le privilège d'embarquer sur une navette spatiale… Le debrief par les recruteurs donnera lieu à des analyses tout à fait hasardeuses ; sans l’emploi d’aucune grille de lecture et de quotation.
Sous l’apparence du sérieux, les intuitions vaguement argumentées d’un quarteron de recruteurs amateurs...
Mais enfonçons nous plus avant dans l’abject : voilà maintenant que les candidats se divisent, s’isolent et doutent ; transformés qu'ils sont en poupées malléables à qui l’on demande de « sortir » ou « d’entrer » comme dans une sinistre émission de télé-réalité. De façon prévisible, cette dramaturgie les avilie et les contraint progressivement au silence face à l’insolence des recruteurs. Telle cette remarque faite à un candidat sans cravate : « La cravate, c’est une prescription médicale ? »
La séance collective au cours de laquelle la plupart des candidats apprennent qu'ils ne sont pas retenus est tout simplement humiliante. Elle pousse l’un des candidats à implorer les recruteurs : gardez-moi, gardez-moi, c’est moi qu’il vous faut pour ce poste, dit-il en substance.
Les trois "survivants" de la première journée de sélection ne sont pour autant pas au bout de leur peine. Suivent un test vaguement psychologique - dont l’aperçu me donne des doutes quant à sa fiabilité - puis un entretien individuel dont l’objectif manifeste est de déstabiliser le postulant. Encore, sans doute, sur la foi de cette bonne vieille méthode du « qu’est-ce qu’il a dans l’estomac »…
Cerise sur le gâteau : les questions discriminatoires !
« Vous allez rentrez chez vous à 22h30 dit l’une des recruteuses à l’unique candidate, vous avez un petit enfant je crois hein, voilà… moi j’ai plusieurs femmes qui sont chez moi qui ont des enfants en bas âge, il y en a qui en ont plusieurs même (…) si mon bébé est malade je pourrai pas rentrer chez moi (…). » Et la candidate d’expliquer qu’elle va s’organiser, que son mari peut s'en occuper, etc. Cette question est illégale ! Le plus absurde étant que le recruteur de RST intervient – mollement – par un : « Vous n’êtes pas tenue de répondre à cette question… » Mais le mal est fait : on a posé une question personnelle qui n’a pas lieu d’être.
Tombant également sous le coup de la loi, j’allais oublier la blague vulgaire de l’un des consultants de RST à propos des origines grecques de l’un des trois candidats, et le fait qu’il aura froid l’hiver en sortant dehors pour aller travailler…
On peut aussi pointer du doigt l’attitude de la Directrice régionale GAN, ainsi que toute l’entreprise, qui non seulement cautionne ces pratiques mais donne, par un effet pervers - et bien au-delà du buzz qui entoure désormais ce documentaire – un bien piètre image de ce grand groupe d’assurance.
Au final, deux candidats seront recrutés. Mais à quel prix !
Au prix de l'avillisement.
Le réalisateur a eu l’intelligence d’interroger l’ensemble des candidats. Que peut-on constater d’autre qu’un immense sentiment d’écoeurement chez eux. « On vit dans un monde de désenchantés » dit Julie qui, en passant, sera la seule retenue avec Georges. Si même les "vainqueurs" sont désabusés...
- Comment continuer à "croire" en l'entreprise quand elle se montre aussi impitoyable mais pire encore peut-être, aussi stupide...
- Comment certaines entreprises peuvent-elles à ce point se couper de l’éthique la plus rudimentaire laquelle consiste à simplement respecter l’autre ?
- Comment peut-on sérieusement recruter à partir de préjugés, qui plus est lorsqu’ils sont mis en scène dans un tel barnum ? Signalons au passage la pertinence du titre du documentaire qui met en évidence cette notion de préjugé.
Vous l’aurez compris, mon indignation n’a d’égale que la longueur de ce billet. Je me bats depuis dix ans à travers mes multiples engagements (dont l’association « A compétence égale ») et mes livres ("le recrutement, les meilleures pratiques", Editions d'organisation) contre les dérives de certains cabinets de recrutement. Visiblement, il reste beaucoup à faire...
La bataille continue pour un recrutement éthique et professionnel !
Je vais avoir à nouveau, très prochainement, l’occasion de m’exprimer sur cette affaire.
Ces quelques liens prélevés sur le web attestent du dégoût que suscite le recrutement, tel que mis en lumière dans l’excellent documentaire de Didier Cros : ici, là, sur LePoint.fr.
Un petit rappel succinct des compétences (et rien que les compétences !) à partir desquels doit se faire un recrutement sérieux de commercial par Francis Petel, directeur de l’observatoire DCF de la fonction commerciale. Interviewé ici par Silvia Di Pasquale sur la chaîne Cadremploi (à 5'40").
Et vous en 2024 ? Vous souhaitez une année uniforme, monochrome, monotone, saturée de clones ?
Alors que 35% des salariées et salariés craignent d’être un jour victimes de discrimination au sein de leur entreprise, notamment en raison de l'âge, de l’apparence physique, du diplôme, du sexe, de l'état de santé et du handicap...
Alors que 80% estiment avoir au moins une caractéristique potentiellement stigmatisante, relative au fait d’être senior, à l’origine sociale, au surpoids, au handicap, au parcours scolaire ou professionnel atypique, au fait d’avoir des enfants en bas âge, à l’état de santé, aux croyances et pratiques religieuses, à l’origine ou la nationalité étrangère, à « l’originalité ou l’excentricité physique ou vestimentaire », à l'origine ethno-raciale réelle ou perçue, à l’orientation sexuelle et l’identité de genre, au militantisme, à l’origine sociale aisée, au fait d’habiter une banlieue ou un quartier prioritaire et/ou sensible, d’être aidant familial ou de porter un signe religieux visible.*
2024, excellente année...résolument DIVERSE !
Au cours de laquelle, chacune et chacun pourra être soi-même, quelle que soit sa différence…
Alain Gavand
Pour des Ressources plus Humaines
Conseil en diversité : audit, formation et accompagnement
Recrutement : approche directe, formation