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« Les conséquences de la crise sanitaire sont dramatiques et auront indéniablement des effets sur la vulnérabilité de l'ensemble des personnes LGBT+ et particulièrement des jeunes LGBT+ ».
Avant la pandémie, la diversité était perçue comme un enjeu central pour les entreprises et dans la société française. Dans une série de dix articles, j’ai souhaité débattre avec des DRH, des Responsables Diversité et des acteurs engagés pour connaître l’impact de la crise sur les politiques Diversité dans les entreprises et dans notre pays.
Écoutons interview Nicolas Noguier président de la Fondation Le Refuge. Reconnue d’Utilité Publique, la Fondation héberge et accompagne les jeunes LGBT+, âgés de 14 à 25 ans, rejetés par leurs parents, chassés du domicile familial, parce qu’ils sont homosexuels, transgenre ou en questionnement identitaire. Son éclairage est particulièrement révélateur d’une persistance des lgbt-phobies dans notre pays, mais également d’un élan de solidarité durant la crise sanitaire, lequel a permis l’accompagnement de jeunes, cruellement rejetés par leurs familles, en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre.
Une augmentation du nombre de jeunes rejetés par leur famille lgbt-phobes durant la pandémie
La pandémie que nous connaissons dans le monde trouble nos vies et a de lourdes conséquences économiques et sociales. Comment cette période a-t-elle été vécue au sein de la Fondation du Refuge ? Bien évidemment l'activité de la Fondation n’a pas échappé à ce bouleversement, mais grâce à la mise en place d'une cellule de veille et d’une cellule de crise, dès le mois de mars, l’association a pu protéger près de 250 jeunes, en les hébergeant et en les accompagnant. Durant la crise sanitaire, le nombre de jeunes accompagnés est passé en deux mois à plus de 300. La Fondation a donc été confrontée à une hausse des demandes de mises à l'abri dans un contexte où les déplacements et les accès aux structures hôtelières étaient difficiles.
Maintenir le lien social, malgré le contexte du confinement
La préoccupation de la Fondation Le Refuge était « avant tout de sécuriser l'ensemble des jeunes protégés par Le Refuge, d'amplifier les missions d'assistance et d'aide alimentaire, mais également d'inventer de nouvelles formes de lien social ». Ce sont plus de bénévoles qui ont été mobilisés dans cette cellule de crise, ainsi que l'ensemble des travailleurs sociaux et les membres du siège. Plus de 2 800 heures d'écoute ont été réalisées et le équipes ont été très présentes sur le terrain pour préserver le lien social au travers, notamment, des distributions alimentaires. Si l'accès aux locaux de jour a été restreint, la présence auprès des jeunes s'est au contraire amplifiée.
Comment les jeunes accompagnés par Le Refuge ont-ils vécu cette situation ? Il ressort qu’ils ont été très anxieux et préoccupés au début de la pandémie, notamment ceux de cultures différentes et dont le français n'est pas la langue habituelle. Il a fallu passer énormément de temps à les rassurer, leur expliquer par exemple, les gestes barrières et les modalités d'utilisation des autorisations de sortie. Heureusement, durant le confinement, chaque jeune avait un référent bénévole qui l'appelait tous les jours. Ces conversations qui pouvaient durer de quelques minutes à plusieurs heures avait pour objet de rompre l'isolement et de détecter les fragilités potentielles. Les psychologues ont bien évidemment été grandement mobilisés. La Fondation échange régulièrement avec les réseaux européens des Refuge et l’on constate que toutes les équipes européennes ont été confrontées aux mêmes problématiques. « Cet isolement forcé a été terrible pour les jeunes qui arrivent au Refuge justement pour rompre leur isolement », déplore Nicolas Noguier.
Une exigence de réactivité pour la Fondation
La fondation a dû être particulièrement réactive face aux conséquences sociales de la crise, mais aussi face à l’impact économique, dont la baisse brutale des dons de 40% en mars 2020. Une cellule de veille financière a été mise en place rapidement pour élaborer un plan de communication et lancer plusieurs mesures économiques pour préserver la trésorerie dont la mise au chômage technique de 17 de ses 21 salariés. Pour Nicolas Noguier, « ce fut une période difficile, qui a été vécue avec toutes les responsabilités d'une fondation d'assistance ; elle a généré beaucoup de fatigue, dans les équipes, mais toutes et tous étaient portés par la vocation d'assistance aux personnes fragilisées ».
Un élan de solidarité
L'élan de solidarité a été visible dès la mi-mars 2020 et les exemples sont nombreux : plusieurs restaurateurs ont appelé les délégations pour offrir leurs denrées alimentaires ; des traiteurs ont proposé leurs services durant toute la période de confinement ; des particuliers ont confectionné des masques pour les jeunes, des entrepreneurs ont fait don de télévisions ou consoles de jeux, une société de chauffeurs particuliers a organisé les transports des jeunes jusqu'aux hôtels réservés par Le Refuge. Des bénévoles de l’association L’autre cercle se sont mobilisés pour coacher une trentaine de jeunes et les aider à définir leurs projets professionnels ou rechercher un emploi. Des propriétaires ont prolongé les séjours et offert des semaines d'hébergement aux jeunes. Et pour Nicolas Noguier, très investi dans cette mission et à la tête de la Fondation, « ces actions ont constitué une vraie chaîne de solidarité, avec des entreprises et des particuliers portés par la volonté de protéger ces jeunes ». « Ça fait vraiment chaud au cœur », nous confie-t-il.
La Fondation a-t-elle pu compter sur l’aide de l’Etat ? Pour Nicolas Noguier, financièrement, certes, les aides du gouvernement ont été à la hauteur, mais l'annonce et sa concrétisation sont arrivées très tardivement, une dizaine de jours avant la fin du confinement. Une enveloppe de 300 000 euros a été dédiée pour les mises à l'abri des jeunes LGBT+ à la rue ou en danger au sein de leur famille. Une convention cadre a été signée avec la secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations. A la suite de la mobilisation de la fondation et de tout le réseau associatif LGBT+, il y a eu une réelle prise de conscience de la situation dramatique dans laquelle se trouvent de nombreux jeunes LGBT+ sans logement ou confinés au sein de familles homophobes et confrontés à des violences psychologiques et physiques. « Le gouvernement a aussi entendu notre demande en matière de soutien pour l'aide alimentaire apportée à tous ces jeunes. Notre fédération, la Fédération des Acteurs de la Solidarité a aussi porté notre cause », se réjouit Nicolas Noguier.
La crise sanitaire a exacerbé la vulnérabilité des jeunes LGBT+
Pour Nicolas Noguier, les conséquences de la crise sanitaire sont dramatiques et auront indéniablement des effets sur la vulnérabilité de l'ensemble des personnes LGBT+ et particulièrement des jeunes LGBT+ : « je pense aux jeunes LGBT+ confinés avec des parents homophobes et qui font état de situations catastrophiques ». Le président du Refuge rapporte l’exemple poignant d’un jeune garçon dont le vécu l'a beaucoup ému : « Firmin qui habite près de Toulouse nous a contacté en état de grande fragilité après plusieurs semaines d'étroite proximité avec des parents homophobes en situation de chômage technique donc 24h/24 à la maison. Il était surveillé en permanence, et n'avait pas d'échappatoire comme le lycée ou le sport. Il va être hébergé au Refuge et je suis rassuré ».
Nicolas Noguier évoque également la situation des jeunes étrangers LGBT+ pour lesquels toutes les procédures de régularisation sont à l'arrêt depuis plusieurs mois. Il observe que le parcours est si long et si difficile en temps normal. Pour les jeunes, « le temps d'attente des notifications des décisions est terriblement anxiogène ». Selon lui, il faut que l'OFPRA, la CNDA et les préfectures régularisent tous ces jeunes au plus vite.
La crise sanitaire a également d’autres conséquences dans le monde : « la fermeture des frontières est terrible pour tous les jeunes étrangers qui ne peuvent plus fuir des pays où ils sont violentés et condamnés pour leur homosexualité ou leur transidentité », s’insurge Nicolas Noguier.
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