Dans l’enquête européenne Eurobaromètre 2023 réalisée par KANTAR (voir mes 2 posts précédents), pour la Commission Européenne, auprès de plus de 26 000 répondants dans les 27 pays de l’Union européenne, des écarts importants apparaissent entre les pays.
La France se situe dans le palmarès des pays où la perception de discrimination fondée notamment sur l’origine et la couleur de peau est la plus élevée.
Perception des discriminations fondées sur l’origine et la couleur de peau : 17 points d’écart entre les Français et les Européens !
En effet, au niveau de l'Union européenne, si 60% des personnes interrogées pensent que la #discrimination fondée sur l'origine ethnique est répandue dans leur pays, en France, ils sont 77% (soit 17 points d’écart). De même, la proportion à considérer que la discrimination fondée sur la couleur de la peau est répandue est la plus élevée en France avec les Pays bas (78 %, versus 61% en moyenne dans l’Union européenne, soit 17 points d’écart). (1)
Le baromètre confirme hélas de nombreuses enquêtes sur la perception de discrimination en France
L’enquête pour le Conseil représentatif des associations noires (CRAN)), l’étude Trajectoires et Origines (TeO) réalisée par l'Ined et l' Insee, ainsi que celle pour le Défenseur des droits et l’Organisation Internationale du Travail (OIT) corroborent les résultats de l’Eurobaromètre.
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Le Baromètre du Conseil représentatif des associations noires (Cran) publié en février 2023 et réalisé par Ipsos révèle que 91% des personnes noires affirment que dans leur vie de tous les jours, être victime de discrimination raciale, soit + 35 points depuis 2007 ! (2)
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Dans son Rapport en 2022, la Défenseure des droits alertait déjà en ce qui concerne « l’urgence d’agir », car les personnes d’origine étrangère ou perçues comme telles « sont confrontées à des discriminations dans tous les domaines de la vie quotidienne et à différentes étapes de leur existence : de l’école à la vie professionnelle, dans l’accès à un logement ou à d’autres biens et services, ou encore dans le cadre de leurs relations avec les administrations et les forces de l’ordre ». La Défenseure des droits déplorait également la banalisation de cette discrimination fondée sur l’origine. (3) L’année suivante, la même institution publiait la 14e édition du baromètre sur la perception des discriminations dans l’emploi, avec l’Organisation internationale du travail (OIT) auprès des 18-34 ans : 37 % déclaraient avoir déjà vécu une situation de discrimination ou de harcèlement discriminatoire dans le cadre de leur recherche d’emploi ou de leur carrière. L’origine, la couleur de peau et la nationalité́ figuraient parmi les premiers critères. (4)
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Dans l’enquête Trajectoires et Origines (TeO), le sentiment de discrimination en général en France est passé à 18% et a augmenté de 4 points en dix ans (2019-2020 en comparaison à 2008-2009). Cette perception de discrimination est plus forte pour les immigrés, les descendants d’immigrés et les personnes originaires d’outre-mer. En effet, en 2019-2020, 22 % des immigrés et 20 % des descendants d’immigrés estiment avoir fait l’objet d’un traitement inégalitaire en raison de leur origine, et même un tiers des personnes originaires d’Afrique hors Maghreb, contre moins d’une personne sur dix en moyenne toutes origines confondues (8 %). Les personnes originaires d’Outre-mer comptent également parmi celles qui rapportent le plus de discriminations du fait de leur origine ou de leur couleur de peau : 26 % parmi les natifs d’Outre-mer et leurs enfants nés en France métropolitaine. (5)
Pourquoi cette perception de discrimination est-elle plus prononcée en France ? Quatre hypothèses
En premier lieu, je fais l’hypothèse que cette perception plus forte de discrimination peut s’expliquer en France par des traitements défavorables réels par les personnes concernées. Citons par exemple :
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Le testing dans le cadre de l’accès au logement mené par SOS Racisme en 2022 : sur 136 agences immobilières, réparties en France, 49 % ont accepté de pratiquer une sélection discriminatoire. (6)
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En ce qui concerne l’accès à l’emploi, les résultats sont tout aussi inquiétants : SOS Racisme avait également réalisé un testing auprès d’agences franciliennes des plus grands réseaux d’intérim en France en 2021. Ce testing avait révélé que 45 % des agences sondées acceptaient de discriminer les candidats à l’embauche, à la demande de leurs clients potentiels. (7)
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Dans le testing effectuée par ISM Corum et l’Institut des politiques publiques (IPP) sous l’égide de la Dares, il ressort qu’en moyenne, à qualité comparable, les candidatures dont l’identité suggère une origine maghrébine ont 31,5 % de chances de moins d’être contactées par les recruteurs que celles portant un prénom et nom d’origine française. (8)
Pour confirmer cette hypothèse d’un degré de discrimination supérieur en France par rapport aux autres pays de l’Union européenne, lequel se traduirait par une perception de discrimination plus prononcée dans notre pays, il faudrait disposer de testings comparables dans les différents pays ; ce qui, à ma connaissance, n’existe pas à ce jour.
En deuxième lieu, la perception des discriminations fondées sur l’origine et la couleur de peau est certes particulièrement élevée par rapport aux autres pays de l’Union européenne, mais c’est également le cas pour tous les autres critères de discrimination et cela, sans exception : le fait d'être Rom, l'identité de genre, l'orientation sexuelle et l’intersexualité, le handicap, la situation socio-économique, l’âge, la religion et les croyances ainsi que le genre. Je fais donc l’hypothèse d’une sensibilité particulière des Français en ce qui concerne l’exigence d’égalité chère à la République française et qui s'inspire des principes de la Révolution française et de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Cette sensibilité à l'égalité ne remet bien évidemment pas en question la réalité des discriminations subies.
En troisième lieu, il est possible que la sensibilité au racisme puise son origine dans notre passé colonial encore « mal assimilé » en France. Les historiens Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire considèrent qu’il existe une fracture coloniale en France et une incapacité française à étudier son histoire coloniale. Selon ces historiens, sans une vraie analyse, il est impossible de déconstruire les idéologies racistes véhiculées à l'époque coloniale. (9)
Enfin, en quatrième lieu, la discrimination fondée sur l’origine et la couleur de peau peut également « glisser » vers celle fondée sur la religion. C’est d’ailleurs l’un des constat de l’enquête Trajectoires et Origines (TeO), qui porte sur le sentiment de discrimination en France. Ainsi, pour les musulmans, les motifs de discrimination se déplacent de l’origine vers la religion. Parmi les musulmans ayant déclaré une discrimination, plus de 3 sur 10 l'attribuent à leur religion, alors qu’ils n’étaient que 15 % dans ce cas dix ans auparavant. Réciproquement, la part de l’origine ou couleur de peau dans les discriminations subies par les musulmans a baissé de 10 points en dix ans. (10)
Dans le Baromètre du fait religieux en entreprise 2022-23, publié par l'Institut Montaigne , Il ressort que les situations de stigmatisation et de discrimination progressent : elles sont régulièrement ou occasionnellement repérées par 30 % des répondants, contre 27 % en 2020-21 et 19,3 % en 2019. Elles touchent tous les pratiquants quelle que soit leur #religion, bien que la discrimination à l'embauche concerne principalement les salariés #musulmans. (11)
Dans l’Eurobaromètre relatif aux discriminations, si 42% des personnes interrogées sur dix dans l'Union européenne déclarent que la discrimination fondée sur la religion ou les convictions est répandue leur pays et 53 % déclarent qu'elle est rare, en France, ils sont 66%, proportion supérieure à tous les autres pays européens. Depuis 2019, ce chiffre a baissé de 5 points en Europe, mais seulement de 3 points en France.
Racisme : quelles solutions ?
Les résultats de cet Eurobaromètre montrent l’ampleur du phénomène dans notre pays et l’urgence à trouver des réponses à la fois sur le plan des politiques publiques et également dans le secteur de l’emploi où les jeunes ressentent particulièrement des inégalités de traitement lors des #recrutements. Souhaitons que le nouveau plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine 2023-2026 œuvre efficacement, car le contexte géopolitique et les débats politiques houleux dans le cadre du projet de loi sur l'immigration risquent fort d’accentuer les tensions dans notre pays, lesquels avaient déjà été largement exacerbées durant les débats électoraux des élections présidentielles de 2022.
L’un des premiers leviers est certainement l’action sur l’évolution des mentalités et la prévention des #stéréotypes que ce soit à l’école, dans les entreprises, le sport et les médias, tout autant que l’arsenal juridique. Rappelons que le #racisme est passible de sanctions pénales. La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a formulé, dans son rapport de 2022 et remis en juin 2023 à la Première ministre, des recommandations intéressantes. Parmi elles, une formation plus approfondie en matière d’infractions racistes, pour les magistrats et les services d’enquête, le recours à des peines telles que le travail d’intérêt général et la promotion de mesures alternatives à l’emprisonnement, comme les stages de #citoyenneté, l’évaluation de la qualité de l’accueil des victimes et de la prise de plaintes, le soutien à la recherche académique sur les actes racistes, antisémites, xénophobes et les discriminations, le rappel à la réglementation en cas d’injure, de diffamation ou d’incitation à la haine ou à la discrimination dans les médias et le renforcement des sanctions ou encore l’adoption d’un plan d’action national sur la formation à la citoyenneté numérique. (12)
(1) Special Eurobarometer 535, Discrimination in the European Union, European Commission, Decembre 2023
https://europa.eu/eurobarometer/surveys/detail/2972
(2) Baromètre des discriminations CRAN / IPSOS, février 2023 https://www.lecran.org/communique-de-presse/conference-de-presse-presentation-du-barometre-des-discriminations-cran-ipsos-a-lassemblee-nationale-reporte-au-15-02/
(3) Discriminations et origines : l’urgence d’agir, Défenseur des droits, 2020 https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=19856
(4) 14e baromètre sur la perception des discriminations dans l' #emploi, Défenseur des droits, 2021 https://www.defenseurdesdroits.fr/etude-14e-barometre-sur-la-perception-des-discriminations-dans-lemploi-303
(5) Discrimination à l’embauche des personnes d’origine supposée maghrébine : quels enseignements d’une grande étude par #testing ? DARES analyses novembre 2021, N°67 https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/fc5a96e5fc19ccdcf46fd9d55339591b/Dares%20Analyses_testing_discrimination_embauche.pdf
(6) https://sos-racisme.org/testing-logement-une-agence-immobiliere-sur-deux-accepte-de-discriminer-ou-se-rend-complice-de-discrimination/
(7) Testing réalisé par SOS Racisme en 2021 https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/sites/efh/files/migration/2022/01/CP-Testing-inverse-Reunion-de-suivi-avec-entreprises-interim-et-SOS-Racisme.pdf
(8) Jérôme Lê, Odile Rouhban, Pierre Tanneau (Insee), Cris Beauchemin, Mathieu Ichou, Patrick Simon (Ined) En dix ans, le sentiment de discrimination augmente, porté par les femmes et le motif sexiste, INSEE PREMIÈRE No 1911, 2022 https://www.insee.fr/fr/statistiques/6473349
(9) La fracture coloniale : La société française au prisme de l'héritage colonial, Sous la direction de Nicolas Bancel et Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire, 2005, éditions La Découverte
(10) Jérôme Lê, Odile Rouhban, Pierre Tanneau (Insee), Cris Beauchemin, Mathieu Ichou, Patrick Simon (Ined) En dix ans, le sentiment de discrimination augmente, porté par les femmes et le motif sexiste, INSEE PREMIÈRE No 1911, 2022 https://www.insee.fr/fr/statistiques/6473349
(11) Institut Montaigne, Religion au travail, Baromètre du fait religieux en entreprise 2022-2023 https://www.institutmontaigne.org/publications/religion-au-travail-barometre-du-fait-religieux-en-entreprise-2022-2023
(12) Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), Rapport 2022 sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie https://www.cncdh.fr/publications/rapport-2022-sur-la-lutte-contre-le-racisme-lantisemitisme-et-la-xenophobie
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